Le président Kaïs Saïed, qui aime endosser le costume de chef de l’opposition, continue de pointer l’administration publique, son poil à gratter du moment, qui, à l’en croire, «cherche à raviver les tensions sociales».
Par Imed Bahri
C’est, en tout cas, ce qu’il a déclaré, jeudi 10 août 2023, en rencontrant le Premier ministre Ahmed Hachani, au Palais de Carthage.
L’entretien a porté sur la pénurie et la hausse des prix des produits de base et les difficultés rencontrées par les citoyens pour traiter avec les autorités locales lors de la demande d’actes de naissance et de contrats de mariage, selon un communiqué de presse de la présidence de la république.
Le chef de l’Etat a souligné la nécessité de combattre «les réseaux qui se cachent dans les coulisses et travaillent à raviver les tensions sociales», ajoutant, sur un ton menaçant, que l’État a les moyens légaux de poursuivre tous ceux qui cherchent à porter atteinte aux droits des citoyens.
La théorie du complot, encore et toujours
Saïed est revenu au même sujet lors de sa rencontre, le même jour, avec Malek Ezzahi, ministre des Affaires sociales, en appelant ce dernier à «mettre les responsables régionaux devant leurs responsabilités parce qu’ils n’ont pas été désignés à leurs postes que pour servir le peuple tunisien», ajoutant : «Qui se détourne de cette voie n’a pas de place dans l’administration. Ou bien il sert le citoyen et la nation, ou bien il laisse sa place à un autre qui assume sa responsabilité et en connaît toutes ses exigences».
Lors d’une précédente rencontre avec le Premier ministre, lundi 7 août, le président Saïed avait également posé la question de l’assainissement de l’administration publique des personnes «qui y sont entrées illégalement il y a plus d’une décennie et se sont transformées en obstacles entravant le fonctionnement de l’Etat», demandant au nouveau chef du gouvernement de préparer «un projet de décret» à cet effet.
Cette même question, qui semble être sa préoccupation du moment, Saïed l’avait évoquée une semaine auparavant, lors de la cérémonie de passation de pouvoirs entre Najla Bouden et son successeur, à la Kasbah, en parlant d’un «projet pour réviser les nominations des dix dernières années, qui étaient basées sur les obédiences politiques et des diplômes falsifiés par milliers».
Ce discours n’est donc pas nouveau et encore moins surprenant de la part d’un président qui, à chaque fois qu’il se trouve dans l’incapacité de résoudre un problème, recourt à la théorie du complot pour justifier cette incapacité.
Un problème de gouvernance
En s’en prenant ainsi continuellement à ceux qui complotent contre l’Etat «dans les chambres obscures», selon ses termes, il croit pouvoir faire dorer indéfiniment la pilule des pénuries et des hausses des prix devenues de moins en moins supportables par les citoyens.
Le président de la république, qui se répète, fait du surplace et tourne en rond, sera plus crédible le jour où il joindra l’acte à la parole et mettra hors d’état de nuire, une fois pour toute, ces «réseaux» (de spéculateurs, de corrompus, de comploteurs…) dont il nous rebat les oreilles depuis qu’il a accédé au palais de Carthage en 2019. S’il en est à ce point incapable, en dépit de tous les pouvoirs qu’il accumule et dont aucun de ses prédécesseurs n’a bénéficié, c’est que le problème n’est pas là où il croit l’identifier, mais dans sa méthode de gouvernance même.
On ne demande qu’à être démentis et édifiés sur la capacité de l’Etat à agir contre ceux qui l’empêchent de régler les problèmes du pays, lesquels s’accumulent, s’additionnent et s’éternisent, sans aucune lueur à l’horizon.
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