Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) a beau justifier la décision du conseil d’administration qu’il préside de relever le taux directeur pour soi-disant faire face aux pressions inflationnistes induites par la hausse des prix sur le plan international, cette décision fera beaucoup de mal aux Tunisiens, particuliers et aux entreprises, et risque de donner un coup fatal à l’investissement, qui peinait déjà à reprendre son rythme d’avant 2011. Explications…
Par Mohamed Rebai *
La Banque centrale de Tunisie (BCT) a annoncé la semaine écoulée le relèvement de son taux directeur de 6,26% à 7% . Le taux de facilité de dépôt (celui auquel les banques peuvent placer leur excédent de liquidités à la BCT sur une journée) est quant à lui passé de 5,25% à 6% et enfin le taux de la facilité de prêt (celui auquel les banques peuvent emprunter leurs besoins de liquidité sur une journée auprès de la BCT, moyennant certaines garanties) est relevé de 7,25 à 8%. Cette hausse des taux directeurs entraîne mécaniquement la hausse des taux interbancaires.
Le taux moyen mensuel du marché monétaire (TMM) passera donc très probablement à 8% auxquels il y a lieu d’ajouter près de 4% pour obtenir le taux effectif global (TEG) d’un crédit courant incorporant tous les éléments relatifs au coût du prêt (taux d’intérêt, coût de l’assurance, frais de dossier, timbres fiscaux…).
Les crédits privés en Tunisie étant majoritairement indexés au TMM, on comprend que cette hausse inquiète les différents acteurs économiques, lesquels soulignent le niveau élevé de l’endettement en Tunisie.
Une hausse inquiétante à plus d’un titre
Par conséquent, l’accès au marché financier va être douloureux et coûteux pour la classe moyenne qui aspire à un logement décent. Les prix des appartements grimpent actuellement autour des 300.000 dinars. Le taux d’inflation qui est de 7,5% (avril 2022) et celui du glissement continu du dinar par rapport à l’euro et au dollar US, nous allons être sévèrement pénalisés, entreprises et particuliers.
Mais pourquoi cette hausse décidée pour la troisième fois est-elle réellement inquiétante ? La première inquiétude est relative au niveaux des taux, à savoir un TMM autour de 8% pour atteindre un TEG voisinant les 12%.
On sait d’avance que ces hausses successives ne vont pas résorber à brève échéance l’inflation. Bien au contraire, elles vont détruire la classe moyenne, asphyxier l’investissement et enrichir les banques. La relance économique se trouvera (toujours) dans l’impasse.
Pour interpréter ces hausses, il faut les regarder par rapport à l’inflation dans la monnaie de la Tunisie. Prendre le taux directeur (7%) moins le taux d’inflation (7,5%), on trouve ce qu’on appelle le taux réel. Ainsi le taux réel en Tunisie est autour de -0,5% et passerait probablement à -1%. A ce taux la BCT est loin d’être restrictive. Au contraire elle va continuer à encourager l’endettement jusqu’à aboutir à un taux réel positif. En zone euro le taux réel est de -1%. Aux Etats-Unis il est de -0,7%. A priori il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure.
Un endettement excessif et non viable
La deuxième inquiétude est relative au niveau jugé élevé de l’endettement du pays. D’après les estimations du dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié en février 2020, le total de la dette extérieure du secteur public (État, entreprises publiques garanties par l’État et Banque centrale pour la balance des paiements) et de celle du secteur privé est passé de 35% du PIB en 2010 à 94,7 % en 2020 ! On n’est pas loin du pic fatidique de 100% soit 100 milliards de dinars de dettes. Difficile pour l’heure de savoir exactement où est passé le magot et s’il a été utilisé à bon escient (ce dont on a de bonnes raisons de douter) ou gaspillé par une mauvaise gouvernance collective (et c’est vers cette thèse que nous penchons bien entendu)?
Certes, le taux d’endettement de la Tunisie est à un niveau d’enfer pour un pays dont les capacités actuelles de remboursement sont particulièrement limitéées. Par contre, aucune inquiétude pour les Etats-Unis supposé être le pays le plus endetté au monde. Son taux d’endettement par rapport au PIB est de l’ordre de 180%, 19 trillions de dollars. Hallucinant Mais pas inquiétant. Et pour cause : il s’agit d’une grande nation dotée d’une machine de production innovante qui tourne à flot et qui paye ses créanciers ce qui n’est pas le cas pour la Tunisie qui emprunte pour payer des salaires de plus en plus élevés et très souvent injustifiés à une armée de fonctionnaires qui se roulent les pouces.
Y a-t-il d’autres solutions à l’horizon?
Pour endiguer l’inflation, et à part le recours au relèvement du taux directeur, solution de facilité s’il en est, il existe d’autres alternatives moins lourdes pour le Tunisien moyen. Dans une économie libérale comme la nôtre, les prix sont déterminés par le ratio suivant : monnaie (monnaie scripturale, crédits) + (monnaie fiduciaire, billets de banque) sur/l’échange (intérieur et extérieur).
Comme vous l’avez constaté, c’est simple à faire. Au lieu d’agir sur le numérateur et réduire la masse des crédits, nous pouvons booster le dénominateur de cette équation à savoir l’échange intérieur, pour commencer, mais ceci n’est pas évident avec la mentalité du Tunisien face au travail protégé par un syndicat revendicateur et clanique.
Reste les exportations. Durant l’année 2021, avec la reprise des activités phosphatières, les exportations ont enregistré une hausse de 20,5% contre une baisse de 11,7% durant l’année 2020. L’année dernière, les exportations ont atteint le niveau de 46 654,2 MDT contre 38 705,9 MDT durant l’année 2020.
De même, les importations ont enregistré une hausse de 22,2% contre une baisse de 18,7% durant l’année 2020. En valeur les importations ont atteint 62 869,2 MDT contre 51 463,7 MDT durant l’année 2020.
A la suite de cette évolution au niveau des exportations (+20,5%) et des importations (+22,2%), le solde commercial s’est établi à un niveau de -16 215,1 MDT contre -12 757,8 MDT durant l’année 2020. Le taux de couverture a ainsi perdu 1 point par rapport à l’année passée pour s’établir à 74,2%. (source : INS).
Par conséquent, nous avons grand intérêt à développer davantage les exportations et à sabrer les importations superflues en provenance de Chine et de Turquie. Encore faut-il aussi réduire le train de vie d’un Etat dépensier et inefficace. Nous réduirons ainsi nos pertes sèches. Et redonnerons au travail, à la discipline et à la production leurs lettres de noblesses. Il va sans dire que sans ces vertus, que nous avons perdu depuis longtemps, et particulièrement depuis la «révolution» de 2011, nous continuerons de traîner le boulet de fer de l’endettement.
* Economiste.
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