Né en 1657, au Ferghana, en Ouzbékistan, Machrab illustre amplement la poésie populaire soufie, remplie de sagesse, de philosophie de vie et de questionnement du monde. Non sans angoisse, trouble et inquiétude.
Il n’était pas facile de distinguer ce qui appartenait, réellement, à Machrab, de ce qui lui était attribué de la création anonyme courante. Il parcourait, errant, contrées et imaginaires. Parfois scandaleux, défiant règles et mœurs, chantant l’amour, avec des ghazals, non loin, de la révolte. Sa poésie, comme sa vie, devinrent objets d’anecdotes, de récits de toutes sortes. Proches de la légende. Il décède en 1711.
Tahar Bekri
Il se demanda soudain : «Où aller ?» et se souvint que Khazrat Imami Djafar Okhound1 1habitait le Hotan2. Il y partit en récitant :
Cette nuit, mes frères, j’étais comme Medjnoun3 ;
Jusqu’à l’aube, j’ai découvert
dans la souffrance des messages du monde.
Me souvenant de ce visage de lune,
multipliant tristesse et angoisse,
Je ne voyais ni signe de ma sagesse
ni ne trouvais parcelle de conscience.
Nul en ce monde ne me semblait plus malheureux que moi :
Dans ma bouche, le sucre était plus amer que poison…
Amis, ne donnez pas vos cœurs à ce monde infidèle :
Je le sais aussi éphémère que les nuages vagabonds…
Ce monde n’a pas plus de sens qu’un jour et une nuit
Car dans ce monde je n’ai vu qu’un soleil et qu’une seule lune.
Le typhon des larmes de mes regrets m’a submergé,
Et, comme Jonas dans l’estomac de la baleine,
j’ai trouvé mon profit dans sa mer.
Je n’ai pas rencontré la fidélité de mon aimée,
mes amis n’ont pas mis fin à ma tristesse :
De ceux que j’attendais l’aide je n’ai reçu que perte…
Que faire Machrab ? Sur cette voie nul n’est ton guide :
Je me suis égaré, j’ai perdu mon chemin,
et n’ai trouvé promesse ni message !
Trad. de l’ouzbek par Hamid Ismaïlov et Jean Pierre Balpe (Diwan, éd. Gallimard, 1993.)
Notes :
1- Okhound : homme sage, savant.–
2- le Hotan : région désertique en Chine.
3- Medjnoun, fou d’amour pour Leila.
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