Habib Selmi se fait plutôt rare en Tunisie. Discret et plutôt solitaire, il ne court pas les plateaux de télévision et les studios des radios. Quand il rentre au pays, c’est pour déambuler dans ses villes et villages, y puiser son inspiration et chercher la matière vivante de ses prochains romans.
Par Ridha Kéfi
Peu connu en dehors du cercle restreint des connaisseurs, Habib Selmi est sans doute le plus grand romancier tunisien vivant. Il est aussi considéré parmi les romanciers arabes les plus importants des quarante dernières années. Ses romans, souvent publiés par les éditions Dar Al-Adab, à Beyrouth, au Liban, bénéficient d’un large écho auprès des médias arabes. Ils sont aussi souvent traduits dans des langues étrangères et notamment en français et ont droit aux bonnes appréciations de la critique mondiale.
Une œuvre imposante qui force l’admiration
«La voisine du cinquième», qui vient de paraître aux éditions Sindbad-Acte Sud, à Marseille, dans une traduction de Stéphanie Dujols, est le 7e roman de Habib Selmi traduit dans la langue de Voltaire et publié par le même éditeur, après «Le Mont-des-Chèvres» (1999); «Les Amoureux de Bayya» (2003); «La Nuit de l’étranger» (2008); «Les Humeurs de Marie-Claire» (2011); «Souriez, vous êtes en Tunisie» (2013); et «La nuit de noce de Si Bechir» (2019).
Difficile de trouver un auteur arabe vivant qui peut aligner un tel nombre d’ouvrages traduits et publiés en France. Pourtant, Habib Selmi ne bénéficie pas du même intérêt dans son pays natal, et c’est vraiment dommage pour les lecteurs de romans qui gagneraient sans doute beaucoup à connaître l’œuvre de cet homme exceptionnel qui a voué sa vie à son œuvre et en a construit l’une des plus imposantes dans son domaine et qui force l’admiration de ses contemporains.
Né à Kairouan en 1951, Habib Selmi a fait ses études supérieures à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Tunis, avant de les poursuivre en France, où il a émigré en 1982, obtenant une agrégation d’arabe. qui lui permit d’enseigner cette langue dans les lycées parisiens, tout en poursuivant une carrière littéraire entamée à Tunis et qu’il a couronnée par la publication d’une dizaine de romans à ce jour.
Atmosphères fuyantes et personnages lunatiques
Vivant à Paris depuis plus de quarante ans, marié une Française, dont il eût un fils, Cedric-Habib Selmi, cet homme grand de taille, longiligne, au cheveux blanchis par les travaux et les jours, raconte dans ses romans les destins croisés de personnages attachants de simplicité et de vérité, des hommes et des femmes, émigrés comme lui, déplacés mais pas déracinés, un peu perdus certes, mais qui se cherchent une nouvelle identité entre plusieurs cultures, tout en se construisant, à travers les joies et les malheurs du présent, d’un côté, et de l’autre, les souvenirs d’un passé omniprésent, une sorte de mémoire vivante faite de senteurs, de couleurs et d’humeurs, qui les rattachent à leur être le plus secret et le plus profond.
Ce sont ces atmosphères fuyantes et ces personnages lunatiques que nous retrouvons dans «La voisine du cinquième», le récit d’une liaison improbable et forcément éphémère entre un Tunisien expatrié, Kamel Achour, enseignant les mathématiques dans une université parisienne, mariée à une Française, Brigitte, et une femme de ménage, Zohra, Tunisienne elle aussi, résidant dans le même immeuble, une femme à la fois offerte et insaisissable, qui tâtonne et se cherche certes, mais qui sait ce qu’elle veut et comment l’obtenir. Elle se fie à son instinct de femme et parvient à déjouer tous les stratagèmes d’un séducteur inconstant et inconsistant.
Comme dans la plupart des romans de Habib Selmi, tout se passe dans la tête des personnages : les faits sont menus, les gestes quotidiens et les mots échangés d’une extrême banalité, mais les sentiments sont forts et les non-dits en disent long sur les hésitations, les bégaiements et les frustrations des personnages, qui ne vont jamais jusqu’au bout de leur désir, le lent et fastidieux travail de séduction se révélant, au final, le plus court chemin vers l’abîme de l’insatisfaction.
Tout en creusant ainsi dans la psychologie de ses personnages et en révélant leurs ressorts les plus secrets, Habib Selmi réfléchit sur la destinée humaine, la complexité des relations, notamment entre l’homme et la femme, et les sophistications des sentiments, la limite étant souvent ténue entre l’amour et la haine, l’attirance et la répulsion, le désir et la frustration. La vie est d’ailleurs souvent vécue, et pas seulement dans les romans, sous le signe de la contrariété et de l’inachèvement.
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