La nouvelle constitution proposée par le président de la république Kaïs Saïed au référendum du 25 juillet prochain est caractérisée par l’absence de contre-pouvoirs essentiels à toute démocratie et pourrait ouvrir la porte à un régime présidentialiste avec ses perversions, notamment le pouvoir discrétionnaire.
Par Elyes Kasri *
La nouvelle constitution de Kaïs Saïed, car la paternité exclusive, en dépit de quelques artifices de façade, ne saurait lui en être contestée, se voit reprocher par un segment considérable de juristes et de la société civile de nombreux vices de procédure et de fond.
Un régime aux relents «jamahiriens»
La lecture du texte donne peu de motifs à ceux qui seraient tentés de réfuter l’argument que ce texte est marqué par l’absence de contre-pouvoirs essentiels à toute démocratie et pourrait ouvrir la porte à un régime présidentialiste ou peut être même à un régime aux relents «jamahiriens» libyens ou «majlissiens» iraniens.
La référence a une «oumma» islamique, aux contours opaques et potentiellement subversifs, relance encore une fois le tropisme d’une identité arabo-musulmane avec son serpent de mer islamiste.
Une crise politique aiguë, doublée d’un naufrage économique, serait à craindre en cas de rejet au prochain référendum.
En cas de passage en force avec des artifices de langage du genre de ceux qui ont accompagné la consultation électronique de mars dernier, il y aura probablement lieu de refaire le même exercice au bout de quelques années avec une Tunisie déchirée, exsangue et dégoûtée des élucubrations de ses juristes et de ses politiciens marchands d’illusions.
La deuxième décennie de la révolution ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices que la première.
Les perversions du pouvoir discrétionnaire
Nous aurons beau adopter une constitution aussi exemplaire soit-elle. Toutefois, le défi le plus crucial pour toute promotion de l’Etat de droit en Tunisie réside dans l’élimination, dans la mesure du possible, du pouvoir discrétionnaire qui est devenu une véritable arme légale de destruction entre les mains des purificateurs-éradicateurs qui donnent la primauté absolue à la proximité et aux petits calculs politiques et autres au détriment de la compétence et de l’intérêt national.
Cette gouvernance par le pouvoir discrétionnaire existait avant la révolution mais a pris depuis 2011 une allure de purges et exclusions permanentes et institutionnalisées.
Pour survivre, les fonctionnaires et autres opérateurs sous le contrôle de l’État n’ont d’autre choix que de se plier à ce pouvoir discrétionnaire auquel beaucoup finissent par s’accommoder et en tirer une rançon comme dans une hiérarchie des charognards.
Tant que ce pouvoir discrétionnaire n’aura pas été réglementé et réduit au strict minimum, la Tunisie n’aura au mieux qu’une démocratie de façade et une administration fonctionnant au ralenti et rongée par l’incertitude et les abus de pouvoir.
Peut être plus que d’autres secteurs, la diplomatie tunisienne souffre de ce pouvoir discrétionnaire qui règne sur les nominations et le parcours professionnel. Ce pouvoir discrétionnaire a abouti à des situations sans précédent dans l’histoire au moment où la Tunisie a plus que jamais besoin d’une diplomatie engagée et motivée tirant le maximum des compétences dont elle regorge pour défendre avec la conviction et la détermination requises les priorités et intérêts nationaux sur la scène internationale.
* Ancien ambassadeur.
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