Tunisie : Maya Ksouri en mode groupie de Kaïs Saïed

Dans un plaidoyer de plus de dix minutes, l’avocate et analyste politique Maya Ksouri s’est prononcée en faveur du projet de constitution présenté par le président de la république Kaïs Saïed. Je n’en reviens toujours pas : elle ne voit pas d’inconvénient à ce que le caractère civil de l’Etat en ne soit pas mentionné dans le torchon qui sera soumis au référendum le 25 juillet courant.

Par Mohamed Sadok Lejri *

Je dois avouer que je suis encore sous le choc de ce que j’ai entendu tout à l’heure. J’ai hésité avant d’employer le mot «choc», mais il me semble que c’est le terme le plus approprié pour décrire ce que je ressens.

Le modèle égyptien qui fait rêver Mme Ksouri

Pour édulcorer l’aspect dévot du torchon de Kaïs Saïed, elle s’est appuyée sur l’exemple des Etats-Unis (In God We Trust) et de la Norvège, deux pays dont les constitutions sont imprégnées de religion et qui ne sont pas des théocraties pour autant. Elle était bien aise de parler de la jurisprudence qui incite les juges égyptiens à tenir compte du droit positif et à ne pas appliquer la charia de façon systématique dans un pays où elle est pourtant la source principale de la législation… La belle affaire ! Ils sont géniaux, ces Egyptiens ! Ce n’est un secret pour personne puisque le modèle bédouino-égyptien est celui qui a toujours fait rêver Maya Ksouri !

Maya Ksouri ne voit pas d’inconvénient à ce que le caractère civil de l’Etat tunisien ne soit pas mentionné dans le torchon qui sera soumis au référendum le 25 juillet courant, étant donné que les libertés individuelles ont toujours été brimées en Tunisie. Drôle de raisonnement, tout de même !

Pour illustrer ses propos, l’avocate a retenu quelques exemples symboliques, à savoir l’inégalité dans l’héritage, l’emprisonnement des non-jeûneurs durant le mois de ramadan, le concubinage passible de prison, la consommation d’alcool sur les terrasses des cafés du centre-ville réservée aux étrangers et interdite aux autochtones (car, en effet, pour l’Etat tunisien et dans l’inconscient collectif, l’autochtone ne peut être que musulman): Jabeur Mejri et Emna Charki, les deux jeunes qui ont été reconnus coupables par la justice pour atteinte à la religion après avoir exprimé leur athéisme sur Facebook, la jurisprudence Houria relative à la question de l’empêchement à héritage du conjoint non-musulman (rappelons que la Tunisienne qui épouse un étranger est quasiment excommuniée par la loi et perd son droit à l’héritage)…

Une autre victime des délires messianiques du nouveau prophète de Carthage

Les choses étant ainsi, pourquoi encombrer la nouvelle constitution de l’expression «Etat civil», alors que les libertés sont régulièrement foulées aux pieds au nom de l’islam ? C’est pourtant de la logique pure. Son côté cartésien et rationnel ne risque pas d’être envahi par les délires messianiques du nouveau prophète de Carthage et l’amène à trouver une solution efficace à tous les problèmes.

Cette dame qui vient d’être promue au grade de Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres de la République française voit d’un bon œil l’article 5 qui stipule que «la Tunisie fait partie de la oumma islamique. A l’Etat exclusivement d’œuvrer à assurer les finalités de l’islam : le droit à la vie, la conservation de l’honneur, des biens, de la religion et de la liberté». Elle a même rappelé que la Tunisie faisait partie intégrante de l’aire civilisationnelle arabo-musulmane comme la France de l’aire chrétienne. Aux chiottes les trois mille ans de civilisation et aux chiottes le texte fondateur de la laïcité de 1905 ! Les Français ne le savent peut-être pas, Mme Ksouri le leur rappelle : la France est et reste chrétienne.  

La chroniqueuse adopte avec bonne grâce les «maqaçid» (objectifs) de l’islam auxquels s’attache le prophète de Carthage, arguant au passage que Habib Bourguiba a pu dégager une interprétation progressiste du texte coranique grâce à cette notion de «maqaçid» et que, par voie de conséquence, l’abolition de la polygamie, le dévoilement des femmes et le geste effectué par le même Bourguiba au début des années 1960 (il avait bu un verre d’eau lors d’un discours transmis à la télé, en plein mois de ramadan, pour inciter les travailleurs à rompre le jeûne), auraient été rendus possibles ou seraient sous-tendus par les «maqaçid» de l’islam. Elle invoque dans la foulée un ouvrage de Mohamed Tahar Ben Achour, «Les maqaçid de la charia islamique», et invite les auditeurs de Shems FM à se délecter de la vision éclairée du défunt cheikh.

Un déplorable tissu d’égarements et de contradictions

Elle est ensuite passée aux principes de démocratie directe depuis la base pour défendre cette thèse qui menace le pays de dislocation et a également justifié d’autres insanités présidentielles. Je vous épargne le reste qui est un déplorable tissu d’égarements et de contradictions.

Elle estime, par exemple, que le projet présenté par Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh est meilleur que celui qui a été amendé par Kaïs Saïed, mais Maya appelle quand même à voter «oui» au référendum du 25 juillet.

L’histoire retiendra que le président actuel a rejeté une constitution moderniste pour un «destour» identitaire, archaïque, bédouino-oriental, qui présente des risques de dérive autocratique et un éventuel danger totalitaire islamique, pour le plus grand bonheur de Naoufel Saïed, le frère de son auguste président, des «qaoumiyn» (nationalistes arabes, nos nazis à nous), des islamo-conservateurs… et de la très moderniste Maya Ksouri.

Je ne comprends plus rien. S’il y a un personnage médiatique qui est l’antithèse absolue du projet constitutionnel de Kaïs Saïed, c’est bien Maya Ksouri. De deux choses l’une :

– soit elle en a marre de prendre des coups et, de guerre lasse, complètement désespérée des hordes à la mentalité moyenâgeuse et au cerveau bousillé par l’islam, réagit avec une attitude de résignation, de soumission, voire de masochisme.

C’est un peu comme si elle disait : Vous voulez la ‘ourouba et l’islam ? Vous avez soif d’identité arabo-musulmane ? Eh ben, autant aller jusqu’au bout et ne pas faire les choses à moitié !» C’est un peu comme si elle se mettait en posture de «dhimmi» vis-à-vis de gens viscéralement attachés à un système de valeurs archaïques et à une culture ethnocentrique qu’elle méprise, tout en gardant, au fond d’elle, l’espoir de voir un jour un changement se produire à partir d’une lecture progressiste des textes sacrés;

– soit Maya Ksouri s’est placée dans la digne lignée des Borhen Bsaïes et cie, en intégrant le grand club des mercenaires, des pseudo-intellos sans foi ni loi qui s’adonnent à la prostitution politico-intellectuelle et qui monnayent leurs services. A-t-elle, comme Faust, le héros mythique du conte populaire allemand évoqué par Maya il n’y a pas si longtemps que cela, vendu son âme au diable ? C’est une question qui mérite d’être posée. Si c’est vraiment le cas, j’espère qu’elle a touché une grosse somme d’argent pour compenser le déshonneur dont elle vient de se couvrir, si tant est que l’on puisse le compenser, et sa réputation souillée à jamais.

Finalement, Ben Ali était celui qui avait le mieux compris les Tunisiens : «Celui qui ne vend pas son âme à vil prix la vend à un prix plus élevé», disait-il.

Encore un mythe qui s’effondre !

Dans les deux cas de figure, Mme Ksouri s’est complètement décrédibilisée aujourd’hui aux yeux de tous ses admirateurs, et même aux yeux de ses détracteurs les plus ardents, en faisant l’éloge de ce torchon ethnocentriste, raciste, liberticide, phallocrate, bédouino-archaïque et taillé sur mesure pour le roi fainéant.

Comme j’ai souvent auréolé le nom de cette femme d’une insigne vertu sur Facebook et dans certains journaux électroniques d’expression française, j’ai reçu aujourd’hui, des quatre coins de la Tunisie, des messages d’amis qui la tenaient en très haute estime pour m’exprimer leur dégoût et leur désarroi. C’était l’une des rares figures intellectuelles en qui ils avaient confiance. Encore un mythe qui s’effondre !

Quoi qu’il en soit, je me suis rendu compte aujourd’hui que Maya Ksouri était à l’opposé de l’image que je me faisais d’elle et des nobles valeurs que je lui prêtais.

* Universitaire.

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