Tunisie : Il faut sauver Kaïs Saïed de lui-même !

Fallait-il inviter avec tant de légèreté et d’inconséquence le Polisario à la 8e Ticad à Tunis alors que le Sahara occidental n’est pas un État indépendant reconnu par l’Onu ? Pourquoi jeter un tel pavé dans les préparatifs de la conférence et blesser inutilement le peuple marocain et ses dirigeants tout en mettant le Japon dans une position inconfortable alors qu’il avait exprimé d’avance son désaccord quant à cette initiative?

Par Sémia Zouari *

Tous les Tunisiens ont suivi avec enthousiasme et espoir les préparatifs de la 8e Ticad et applaudi à tout l’élan d’embellissement et de nettoyage de la ville de Tunis pour accueillir nos frères africains et le Japon ami, le seul pays avec l’Allemagne qui nous a toujours accordé une aide déliée et solidaire.

Nos espoirs ont été et sont encore si grands de voir cette Ticad agir comme un catalyseur pour promouvoir la coopération avec tout le continent africain et surtout entre les pays africains dans un processus d’intégration économique mutuellement avantageux et nécessaire à notre développement.

Trop d’amateurisme et de couacs

Mais une douche froide est venue nous frapper comme un coup de massue avec ce grave incident diplomatique avec le Maroc frère… Fallait-il inviter avec tant de légèreté et d’inconséquences le Polisario alors que le Sahara occidental n’est pas un État indépendant reconnu par l’Onu ?

Pourquoi jeter un tel pavé dans les préparatifs de la 8e Ticad et blesser inutilement le peuple marocain et ses dirigeants tout en mettant le Japon dans une position inconfortable alors qu’il avait exprimé d’avance son désaccord quant à cette initiative?

Trop d’amateurisme et de couacs dans notre politique étrangère actuelle et le président Kaïs Saïed est le premier responsable de notre diplomatie, une charge qu’il doit porter avec sagesse et pondération….

Allons-nous nous aliéner tous nos alliés traditionnels en multipliant les impairs voire les déclarations excessives et inconsidérées? Une fois vis-à-vis de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe et de sa vénérable Commission de Venise qui nous ont tant aidés et soutenus, alors qu’il aurait été plus professionnel de rédiger un Mémorandum de réponse avec un argumentaire étayé capable de convaincre tous nos détracteurs. Une autre fois avec les États-Unis, nos fidèles alliés de toujours, qui nous ont apporté un soutien unique en matière de lutte contre le terrorisme, de modernisation de notre armée, de garantie de nos emprunts internationaux.

Récemment encore l’affrontement concernant le prochain Sommet de la Francophonie dont la tenue à Tunis paraît bien compromise eu égard aux erreurs d’appréciation du côté tunisien: le choix de Djerba assurerait-il la sécurité requise pour un Sommet de chefs d’Etat? La négligence du lobbying auprès des francophones et des Canadiens, des militants droits de l’homme tunisiens tels que Moncef Marzouki, privé intempestivement de son passeport diplomatique…

Où allons-nous ?

Maintenant le Maroc, un pays frère qui n’a jamais failli à notre solidarité se sent insulté et bafoué par notre position si légère?

Où allons-nous ? S’agit-il de positions individuelles du président Saïed ou est-il mal conseillé par son entourage familial et professionnel ? Du reste l’éclairage de ses décisions devrait être fondé uniquement sur une diplomatie professionnelle, rationnelle, courageuse, capable de lui dire les choses honnêtement quitte à contredire ses influences populistes qui restent peu réalistes.

Trop de béni oui-oui du ministère des Affaires étrangères ou d’idéologues démagogues populistes intrus à la diplomatie ont altéré le jugement du président et l’ont conduit à des errements qui mettent en péril la sécurité et la stabilité de notre pays. Qui le mettent lui même en péril !

Combien de fois faut-il redire l’évidence ? Une bonne diplomatie est celle qui assure des relations sereines et apaisées avec tous les pays… Diversifier nos partenaires économiques et financiers internationaux avec des pays comme la Chine ne signifie pas qu’il faille compromettre nos relations d’amitié avec nos alliés traditionnels. Est-ce si difficile à intégrer?

Si tous les Tunisiens sont fiers de l’amitié et de la solidarité entre la Tunisie et l’Algérie ils sont également convaincus qu’elles doivent être préservées, dans le cadre du respect mutuel et non induire une satellisation de la Tunisie aux dépens de ses relations avec un autre pays frère.

Si la Tunisie a un rôle à jouer c’est celui d’une intermédiation honnête et sincère pour la nécessaire réconciliation entre les deux pays frères algérien et marocain. La question du Sahara occidental n’est-elle pas une douloureuse affaire de décolonisation mal réglée qui nécessite sagesse et pondération pour sa résolution sous l’égide des Nations Unies? Pourquoi la Tunisie renoncerait-elle aux principes fondateurs de sa politique étrangère pour sombrer dans tous ces égarements?

Réinitialiser la diplomatie tunisienne  

Dans tous les cas de figures, il est urgent de rectifier le tir et de réinitialiser notre diplomatie… Vite ! Pour sauver notre pays et pour sauver Kaïs Saïed de lui même !

Enfin, pour conclure à ce sujet, trop d’ingérences polluent le fonctionnement du ministère des Affaires étrangères dont le statut peine encore à être adopté alors que l’on travaille dessus depuis 2011! Les nombreuses promotions de grade accordées à tour de bras ont créé une armée mexicaine sans que les responsables puissent bénéficier des emplois fonctionnels en rapport avec leurs grades et sans qu’ils aient de collaborateurs dans leurs équipes…

Les ambitions parfois illégitimes de nombreux jeunes loups aux dents longues ont fait ostraciser de nombreux ambassadeurs séniors alors qu’ils sont censés apporter leur expérience et leur pondération à notre diplomatie dans une parfaite symbiose entre jeunes et anciens diplomates. Sans oublier l’éternel réflexe d’exclusion des rivaux ministrables qui prive le pays de nombreuses compétences, parfois assignées dans leur domicile, ou placardées dans des bureaux miteux alors qu’ils avaient été secrétaire d’Etat ou ministre! Cherchez l’erreur…..

Et sans compter tous les dysfonctionnements qui plombent le fonctionnement de nos postes diplomatiques et consulaires, remplis d’agents locaux souvent sans diplômes, astreints à des lois de cadres obsolètes et archaïques qui empêchent la modernisation des procédures et l’allègement des frais de fonctionnement.

Et espérons que le mouvement des ambassadeurs ne nous réservera pas encore de mauvaises surprises avec des personnes inexpérimentées dans des postes névralgiques, des arabophones unilingues dans des postes européens, de parfaits anglophones exclus des postes où ils pourraient utilement servir notre pays, des copains et des universitaires sans background pour assurer une fonction diplomatique digne de ce nom…

On nous dit que c’est comme ça dans tous les ministères et qu’il faut s’y faire mais au ministère des Affaires étrangères ce fatalisme est inacceptable et nous paierions tous pour tous ces errements de notre politique étrangère.

Il est temps, monsieur le président, de faire cesser l’amateurisme et d’écouter les conseillers, les visiteurs étrangers, au lieu de se livrer à des monologues de cours magistral.

A bon entendeur!

* Diplomate.

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