Le poème du dimanche : ‘‘Imagine que je t’aperçoive’’ de  Mohamed Ghozzi

Né en1949, à Kairouan, le poète Mohamed Ghozzi est une voix importante de la poésie tunisienne et arabe. Sa poésie est marquée par une vision soufie, longtemps, liée à l’école de Kairouan. Mais son inspiration reste universelle.

Rituels, visions, imaginaires, références, ancrages sont portés par une culture arabe et islamique classique solide, afin d’écrire la modernité. Elle célèbre l’amour, la beauté des êtres et des choses, mêlant intériorité et réalité extérieure. Ses vers veillent sur une écriture apaisée, sans cris, ni fanfares. Silencieuse comme une prière.

Prof d’Université, homme de médias, il est aussi auteur pour le théâtre et pour enfants. A publié sept recueils de poésie. Prend part à de nombreux événements littéraires et culturels, en Tunisie, comme à l’étranger. Son œuvre est couronnée de succès et de prix littéraires.

Quelques titres (en arabe) : Le livre de l’eau, le livre de la braise, 1982; Beaucoup, ce peu que j’ai pris, 1999. Le livre des rêves, 2003; Encore un éclairage différent, 2007; Chaque brin d’herbe possède sa propre voix, chaque nuée, de même, 2022.

Tahar Bekri

Imagine que je t’aperçoive, par hasard, après cette longue absence

dans l’un des détours d’une rue

ou dans un café

Imagine comment je vais accourir vers toi sans prêter attention aux

commerçants

ni aux passants qui poursuivent leur chemin

Imagine comment je vais héler et crier ton nom au milieu de la mêlée des gens

Imagine comment je vais tenir ta main et la serrer

de crainte que tu ne m’abandonnes une seconde fois

Imagine comment je vais fixer longuement mon regard sur tes yeux

sur ta chevelure

Comment je vais humer, humecter, sentir, fouiller ton être

Comment je vais t’étreindre longuement

Comment je vais crier au milieu de la place où se tient le marché

Devant tous les passants,

les étrangers et les marchands de tapis

en te disant: je t'aime

Imagine, que de nouveau, nous marcherons ensemble, tes mains enchevêtrées

dans les miennes

Imagine comment nous allons nous diriger vers un restaurant

sous les arcades de l’ancienne Médina

Imagine comment je vais te dévêtir de ton manteau noir, te débarrasser de ton

écharpe rouge

Comment je vais essuyer les gouttes de pluie qui couvrent ta chevelure qui

s’étale, dénouée

Comment je vais admirer ta toilette et ton élégance, ma Dame

En apprécier tous les soins apportés

Imagine que nous allons, comme de coutume, nous nous promener dans la nuit

sans but, à travers les rues

Tandis que tu serais en train de dire : nous ne nous quitterons plus jamais

Et que ta récente éclipse n’était qu’une absence passagère et fortuite

Imagine

que nous sommes égarés à travers les dédales de la ville

Tandis que tu serais en train de me lire des poèmes de Neruda, qui parlent

d’amour

la ville en répercute l’écho, les murailles et les grandes portes

Imagine que nous poursuivons notre marche jusqu’à la fin de la nuit

Nous évoquerons nos charmantes frasques commises par le passé

Et notre désir ardent d’en commettre encore davantage à l’avenir

Imagine que nous foulons de nos pieds la terre, que nous déployons nos ailes

dans le ciel vert sans que d’autres s’en aperçoivent

Et quand la nuit touche à sa fin et que les rues désertées se vident

Nous retournerons à notre foyer

Traduit de l’arabe par Abdelaziz Ben Arfa.

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