En annonçant un nouveau financement de 60 millions de dollars «qui fournira une assistance rapide aux Tunisiens les plus vulnérables», les Etats-Unis ont voulu envoyer un message de soutien critique à notre pays.
Par Ridha Kefi
L’ambassade des États-Unis a déclaré jeudi 13 octobre 2022 dans un communiqué que l’aide rapide sera fournie par l’Agence américaine pour le développement international (USAID) à l’Unicef pour fournir un soutien direct aux familles vulnérables dans tout le pays. «Les Etats-Unis continueront de se tenir aux côtés du peuple tunisien alors qu’il est aux prises avec une crise économique en cours», a ajouté la même source.
De son côté, le secrétaire d’Etat Antony Blinken a publié, le même jour, le tweet suivant : «Aujourd’hui, nous avons annoncé une subvention de 60 millions de dollars pour que @Unicef apporte un soutien direct aux familles vulnérables dans toute la Tunisie. Les États-Unis sont engagés à long terme auprès du peuple tunisien alors qu’il s’efforce de construire un avenir prospère et démocratique pour tous les Tunisiens.»
La confiance n’est plus ce qu’elle était
Bien entendu, l’aide américaine est bonne à prendre en ces temps de disette, mais sur la forme, certains éléments méritent d’être relevés car ils sont révélateurs d’un manque de confiance de Washington dans les autorités tunisiennes.
D’abord l’aide transitera par l’Unicef, et c’est cette organisation basée de longue date en Tunisie qui aura pour tâche de faire parvenir l’aide à ceux qui en ont le plus besoin, notamment les enfants dans les zones les plus déshérités, lesquels vont le plus souffrir de la crise alimentaire annoncée, la Tunisie étant classée par la Banque mondiale parmi les pays au monde qui seront probablement touchés par… la famine, même si les autorités tunisiennes font semblant de ne pas en être au courant ni même concernées. Et cela se comprend, mais ne se justifie pas : le terme de famine est infamant pour les élites gouvernantes de notre pays dont l’arrogance n’a d’égal que l’incompétence.
Dans ce contexte, le choix de l’Unicef pour faire transiter l’aide traduit, ne fut-ce qu’indirectement, une volonté de la part des responsables américains d’éviter d’avoir affaire directement à leurs homologues tunisiens pour la distribution de l’aide accordée. Et c’est tout dire…
Sur un autre plan, le Tweet de Blinken parle de «l’engagement à long terme auprès du peuple tunisien», et ici, la volonté de marquer une distance vis-à-vis des autorités politiques actuelles est ici évidente, Washington misant sur «le peuple» et le «long terme», car les gouvernements passent et ce sont les relations historiques entre les deux peuples qui demeurent. La Tunisie a été, rappelons-le, parmi les premiers pays à avoir reconnu l’indépendance des Etats-Unis et avoir noué des relations diplomatiques avec la jeune nation il y a plus de deux siècles. Et les Etats-Unis ont été parmi les premiers pays à soutenir l’indépendance de notre pays et à le soutenir au cours des premières années de son indépendance, lorsqu’il manquait de tout. Et les Tunisiens d’un certain âge se souviennent encore de cette aide qui parvenait jusqu’aux points les plus reculés de la campagne tunisienne.
«L’avenir démocratique pour tous les Tunisiens»
C’est ce passé là et cette longue histoire commune qui expliquent, en plus d’autres considérations géopolitiques, l’attachement de Washington au maintien de relations solides avec la Tunisie, malgré les divergences que les aléas de la politique peuvent susciter de temps à autre.
Cela dit, il ne nous a pas échappé l’insistance de Blinken sur «l’avenir démocratique pour tous les Tunisiens» dans un tweet de quatre lignes, qui plus est, consacré à une aide humanitaire.
Pour annoncer cette aide, l’administration américaine aurait bien pu se contenter d’un communiqué de son ambassade à Tunis. Elle aurait pu aussi l’annoncer via les canaux diplomatiques qui fonctionnent entre les deux pays, puisqu’il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait une réunion de haut niveau à Tunis ou à Washington, mais elle a tenu à le faire autrement, et Blinken, qui ne manque pas de sujets de préoccupation avec la guerre russo-ukrainienne et ses conséquences géostratégiques et économiques, a tenu à annoncer lui-même cette aide et à publier un tweet où il envoie un nouveau message aux autorités tunisiennes selon lequel le soutien des Etats-Unis «au peuple tunisien» est durable et «l’avenir démocratique pour tous les Tunisiens» reste une préoccupation pour Washington, qui suit l’évolution du processus politique dans notre pays avec un mélange de perplexité et d’appréhension.
Cette allusion à «l’avenir démocratique» des Tunisiens rappelle, bien entendu, toutes les réserves déjà exprimées par la Maison blanche, le secrétariat d’Etat et le Pentagone sur la dérive que constitue le processus rectificatif lancé par le président Kaïs Saïed depuis la proclamation des mesures d’exception, le 25 juillet 2021.
Le fait que l’ambassadeur Joey R. Hood, dont de récents propos critiques ont suscité un tollé auprès des autorités tunisiennes, n’ait pas encore rejoint son poste à Tunis est, peut-être, une autre manière d’exprimer ces réserves. On ne demande, ici, qu’à être démenti par les faits.
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