Le 18e Sommet de la francophonie se tiendra à Djerba en Tunisie les 19 et 20 novembre 2022. Son processus préparatoire s’est déroulé dans un contexte national et international extrêmement difficile et n’a certainement pas été de tout repos ni pour la Tunisie, le pays hôte en crise chronique depuis des années, ni pour l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), ni pour des pays qui en sont membres. (La secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, reçue par le président Kaïs Saïed, le 9 octobre 2021).
Par Raouf Chatty *
Prévu pour 2020 en Tunisie, le Sommet a été reporté à deux reprises à la suite du confinement imposé par le fléau de la Covid-19 dans le monde. Les autorités tunisiennes auraient réclamé davantage de temps pour réunir toutes les conditions appropriées pour son bon déroulement.
Des tergiversations politiques ont également accompagné son processus préparatoire. Le Canada s’est même un moment opposé à sa tenue en Tunisie. Ce pays serait maintenant revenu à de meilleures dispositions, son Premier ministre ayant récemment officiellement annoncé sa participation au Sommet.
Des voix s’étaient également élevées parmi des organisations non gouvernementales étrangères et quelques opposants politiques tunisiens, notamment l’ex-président Moncef Marzouki, vivant en France, qui a incité son pays d’accueil et l’OIF à tenir le Sommet au siège de l’organisation à Paris, au motif que la Tunisie vivait depuis le 25 juillet 2021 sous l’empire d’une autocratie et d’un régime d’exception et ne répondait pas aux normes de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales , qui sont la clé de voûte et la priorité absolue de la francophonie.
Un contexte de crises tous azimuts
De fait, le Sommet se déroule dans un contexte national très mouvementé, la Tunisie se débattant dans une crise politique et économique endémiques majeure. Il se tient également dans un environnement international singulier, confus et très agité, dans un monde en pleine crise politique, économique et environnementale, marquée par la guerre en Ukraine, la dégradation de la situation des droits de l’homme dans plusieurs parties de la planète, l’exacerbation des tensions entre les États Unis d’Amérique, ses alliés et la Russie et la Chine, le renchérissement des prix du gaz, des hydrocarbures et des céréales, les changements climatiques majeurs et leurs impacts extrêmement négatifs sur le présent et le futur de la planète.
Des pays appartenant à l’espace francophone font de plus en plus entendre leur voix et critiquant vivement la France, le pays-locomotive, estimant qu’elle instrumentalise la francophonie à des fins politiques. Tout en proclamant leur attachement souverain à l’idéal francophone et aux valeurs universelles de la francophonie, ils réclament à la France, entre autres, de s’impliquer davantage dans un partenariat gagnant-gagnant, de faire plus et mieux pour le développement économique de l’espace francophone. Ils lui réclament aussi de revoir entre autres ses politiques en matière d’immigration et celles en relation avec les populations immigrées africaines qui résident sur son sol.
S’agissant de la France, le pays mère de la francophonie, elle connaît, à l’instar de toute l’Europe, de sérieuses difficultés politiques, économiques et sociales. Elle se bat pour préserver sa place parmi les grandes nations, fait face à la grogne montante de pays africains, de plus en plus portés sur le réaménagement de leurs relations extérieures, se tournant davantage vers la langue anglaise et vers les mondes anglophone et asiatique, en particulier la Chine… Des questions fondamentales se posent aujourd’hui sur les politiques françaises à l’endroit de la francophonie et sur les capacités de la France de l’entretenir efficacement et de lui garantir la pérennité.
Dans ce contexte mouvementé et très fluctuant qui n’épargne aucun pays, des efforts diplomatiques intenses doivent être déployés par tous les pays lors de ce Sommet pour sortir des sentiers battus, aboutir à l’adoption de textes consensuels sur de nombreux thèmes délicats qui seront traités lors des travaux et à des résultats pratiques de nature à consolider le statut de la francophonie dans l’espace francophone et sur l’échiquier international.
Couvrir davantage les questions de développement
Une attention particulière se doit d’être portée au contenu de la francophonie pour couvrir davantage les questions se rapportant au développement économique, à l’éducation, à la jeunesse, à la femme, à la santé, à l’environnement et aux bonnes pratiques de la société numérique.
Cela est à la fois une nécessité et un impératif pour tous les pays qui se réclament de la francophonie. Celle-ci, outre qu’elle renvoie à une communauté de langue, elle est surtout une culture ancrée et un bien commun partagé par des espaces géographiques divers à travers la planète avec quelques 300 millions de locuteurs attachés au français, à ses valeurs universelles et unis par une histoire partagée avec la France.
Les difficultés que rencontrent l’espace francophone certes réelles ne sauraient ôter sa force, sa dynamique, sa vitalité et son rayonnement à la francophonie
Les pays qui ont le français en partage savent aujourd’hui et plus que jamais que la francophonie constitue pour eux une voie d’accès au reste du monde. Leur démarche est fondée sur un attachement bien réfléchi à la démocratie, à l’Etat de droit, aux droits de l’homme dans leur acception universels, à la laïcité, à la citoyenneté, au respect des différences et aux valeurs humaines en général, qui constituent le socle de la francophonie issu de la philosophie des lumières, auxquelles tous les pays de l’espace francophone clament leur adhésion.
Quel rôle et quels enjeux pour la Tunisie ?
La Tunisie, qui préside ce Sommet, n’aura pas la tâche facile. Elle doit toujours avoir présent à l’esprit qu’elle était un pays fondateur de l’Agence internationale de la francophonie. L’ancien président Habib Bourguiba y tenait.
Elle a aujourd’hui un rôle important à jouer. Elle doit, toutefois, s’attendre à des critiques de certains pays amis dans le sillage de celles exprimées par certains pays, notamment occidentaux, lors de l’examen par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, courant novembre, de la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Tunisie tout comme par des partis de l’opposition tunisienne et des organisations nationales et internationales actives dans le domaine des droits de l’homme.
Certains partis de l’opposition pourraient exploiter cette occasion pour faire entendre leur voix à Djerba.
Ce Sommet pourrait néanmoins constituer un rendez-vous diplomatique majeur pour la Tunisie pour amorcer un retour réussi sur la scène régionale et internationale. Cette occasion précieuse ne doit pas être gaspillée.
Cela reste tributaire de la démarche qui sera adoptée par sa délégation officielle et par les mesures pratiques que le président de la république pourrait annoncer durant ce Sommet dans le sillage des valeurs de la francophonie
En dépit du fait que la Tunisie a très mal géré sa transition démocratique s’enfonçant depuis des années dans la crise, elle conserve toujours des atouts. Son président devrait toutefois expliquer sobrement et sereinement son engagement irréversible pour la démocratie et les valeurs universelles des droits de l’homme, accompagner ses paroles par des actes forts en travaillant sereinement de concert avec les parties démocratiques et les forces agissantes dans le pays, les centrale syndicale et patronale et s’ouvrir sur la société civile pour construire une démocratie politique et économique viable.
Son contrat avec son pays l’y astreint comme sa présidence de la francophonie pour les deux prochaines années, d’où une obligation morale d’en promouvoir les valeurs en Tunisie et dans l’espace francophone.
Le monde, francophonie comme anglophonie, observe l’évolution de la situation en Tunisie et la percevant comme un espace de tolérance, de stabilité et de paix, extrêmement important pour la stabilité en Méditerranée. Cette perception, il nous appartiendra de savoir la consolider et la conforter.
* Ancien ambassadeur.
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