Toujours sur la défensive lors de ses rencontres avec les hauts responsables américains, Kaïs Saïed ne parvient toujours pas à convaincre les partenaires historiques de la Tunisie du bien-fondé du processus rectificatif qu’il conduit depuis la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021. Et ce sont douze millions de Tunisiens qui subissent les conséquences de cette situation où les ambiguïtés des uns nourrissent les incompréhensions des autres et empêchent tout rapprochement des vues.
Par Ridha Kéfi
Peu d’éléments ont filtré de la rencontre hier, mercredi 14 décembre 2022, à Washington, entre le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken et le président de la république Kaïs Saïed, en visite de trois jours pour participer au Sommet Etats-Unis-Afrique.
Critiques amicales et clarifications outrées
On sait, cependant, que dans son mot de bienvenu, le chef de la diplomatie américaine a évoqué «le partenariat de longue date entre les États-Unis et le peuple tunisien auquel les États-Unis attachent une grande importance.» Il a aussi réitéré le soutien de son pays «à des élections inclusives et transparentes, au programme économique si important pour l’avenir du peuple tunisien», en insistant, sur la nécessité «de faire en sorte que les diverses voix en Tunisie soient pleinement représentées dans son avenir», dans ce qui apparaît comme une «critique amicale» du processus rectificatif mis en route par le président Saïed avec la proclamation de l’état d’exception, de manière unilatérale et en dehors de tout dialogue avec les principaux acteurs de la scène politique.
Et c’est en réponse à ces «critiques», exprimées à plusieurs reprises auparavant par la Maison Blanche, le Département d’Etat et le Pentagone, que la présidence de la république tunisienne a tenu à indiquer, dans le communiqué publié à l’issue de la rencontre, que celle-ci «a été consacrée à clarifier la réalité de la situation en Tunisie et à réfuter les allégations et les rumeurs diffusées par certaines parties notoires dans le but de nuire à l’image de la Tunisie à l’étranger, et à souligner, ainsi, l’importance de permettre au peuple tunisien souverain d’exercer son droit d’exprimer librement sa volonté à travers les élections prévues le 17 décembre courant».
Autant dire donc, si l’on s’en tient à ces éléments, que les deux parties campent sur leurs positions concernant le processus politique actuel en Tunisie. Et que ni le président Saïed, qui détient tous les leviers du pouvoir en Tunisie, face à une opposition divisée et versatile, ni les responsables américains, qui s’attachent à ce qu’ils considèrent comme une transition démocratique réussie en Tunisie avant la proclamation de l’état d’exception, ne semblent disposés à revoir leurs positions respectives.
Des positions inchangées
C’est ce qui explique d’ailleurs le blocage constaté actuellement dans les relations de la Tunisie avec ses partenaires et bailleurs de fonds internationaux, le processus politique dans le pays étant incompris à l’extérieur et brouillé à l’intérieur par l’absence de dialogue entre le pouvoir d’un côté, et la société civile de l’autre, représentée par les partis et les organisations nationales.
Dans ce contexte délétère, les législatives du 17 décembre, auxquelles le président Saïed attache une grande importance pour, croit-il, marquer le retour à la normalité constitutionnelle, pourraient-elles aider à clarifier la situation politique dans le pays et à donner plus de crédibilité aux prétentions démocratiques du locataire du Palais de Carthage, ou, au contraire, confirmeraient-elles les velléités autoritaires du président de la république pointées par ses opposants ?
Au-delà de ce qu’on peut penser de ces élections, qui risquent de connaître un taux d’abstention historiquement élevé, cette situation d’instabilité ne plaide pas pour une sortie rapide de la crise où se débat la Tunisie depuis la révolution de 2011, et qui s’est aggravée au cours des trois premières années du mandat de Kaïs Saïed.
Au contraire, cette instabilité brouille davantage l’image du pays, fait fuir les investisseurs étrangers et refroidit les ardeurs des opérateurs locaux, renvoyant aux calendes grecques la reprise de la croissance économique dont la Tunisie a besoin pour réduire ses déficits publics, créer des emplois et calmer la colère sociale qui gronde.
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