Né en 1942 à Santiago, le poète chilien Luis Mizon vient de s’éteindre en laissant une œuvre poétique importante écrite en espagnol et en français.
Le poète s’est installé en France en 1974 après le coup d’Etat militaire au Chili où il enseignait l’histoire du droit à l’université. L’espace d’un temps, il a animé la revue et l’Association Confluences qui cherchait à promouvoir les poètes étrangers en France.
D’un recueil à l’autre, sa voix confirme une poésie essentielle, qui dit l’exil, la terre et ses blessures, la quête des éléments, carnets de paysages et fragments d’une vie riche en voyages extérieurs et intérieurs.
Commencée dès 1961, sa poésie fut traduite en France surtout par Roger Caillois et Claude Couffon. Illustrée par de nombreux artistes, elle est couronnée de succès et de distinctions.
Quelques titres : Poèmes du sud, Gallimard, 1982 ; Noces, Brandes, 1988; Voyages et retours, Obsidiane, 1989; L’oreiller d’argile, Al Manar, 2010; Le Soudeur de murmures, Ed. Folle Avoine, 2017; Chants pour traverser la mer, ill. Caroline Francois Rubino et Anne Slacik, Ancrage, 2022.
Tahar Bekri
1
Nous ne voulions pas grandir.
Nous voulions durer
à l’ombre des mots hors d’usage.
Vivre dans l’oisiveté
de vieux bavardages
que la mort dédaigne.
Vivre dans le souvenir
invaincu déserteur
des grands arbres de la mer.
2
Tu ne devrais pas l’ignorer
nous fûmes une caravane de musiciens
foulant les palimpsestes de l’éclipse.
Les abeilles nous guidaient
vers des cirques ou des églises clandestines.
Le ciel des fauves
Eclairait notre voyage.
3
Notre carte
est un parchemin
craquelé et jaune d’agneau
cloué au soleil
écrit enluminé
de minces filets de sang
odeur de vent et de brasier.
4
Odeurs de tanneries.
Sel des offices rances.
Le vin ferme dans les caves.
Les farines grillent
au rythme des grands chênes.
Et le miel attend dans les bains de pierre.
L’ombre la cire vierge des hortensias.
Nous avançons respirant les fissures
d’un incendie marin dans les jardins.
5
Odeur de mes racines vives.
Connaissance de la terre.
Au petit jour
la pluie tant attendue
cache un mufle de voix
au creux de mains tièdes.
6
Au-dehors les murmures des fantômes
de terre et mer.
Peu importe
pourtant la pluie est rare comme l’or
dans les mains sombres
et la sécheresse élève son chant.
Lorsque le vent exaspère le paysage
des légendes indéchiffrables
et des inscriptions effacées
tachent de fraîcheur
l’écorce et le mur.
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
Remerciements à l’éditeur Voyages et retours, Ed. Obsidiane.
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