Mena : La crise du secteur foncier aggravée par la mauvaise gouvernance

Selon une récente enquête de la Banque Mondiale sur la détérioration des terres dans la région du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (Mena), c’est en Tunisie que les plus lourds obstacles pèsent sur l’accès à la terre.

Par Amina Mkada (avec BM).

La Banque Mondiale (BM) a abordé avec acuité, dans son rapport du 18 janvier 2023, la détérioration des terres souffrant de mauvaise gouvernance, alors qu’elles sont déjà gravement affectées par les changements climatiques et la croissance des populations, aussi bien en Tunisie que dans les autres pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord (Mena).

Pour la BM, le problème crucial qui se pose est de savoir si une meilleure gouvernance et une meilleure gestion de la rareté des terres, peuvent prévenir ou non une crise imminente du secteur foncier des pays Mena.

Pour Ferid Belhaj, vice-président à la BM de la région Mena, les problèmes fonciers occupent une place importante dans de nombreuses décisions de politique publique, mais ne sont toujours pas explicitement reconnus. Problèmes d’autant plus urgents, que les changements climatiques et l’accroissement des populations dans cette région viennent aggraver davantage la crise foncière. Car il y a crise…

Diminution des terres cultivées

En effet et selon le rapport, la détérioration continue des terres de la région Mena (désertique à 84%) aggrave les problèmes de la pénurie d’eau, d’où une menace sur la sécurité alimentaire et le développement économique. Pour preuve, la superficie des terres cultivées a diminué de 2,4% en 15 ans, de 2003 à 2018. Il s’agit de la plus forte baisse au monde, quand on sait que la population des pays Mena a bondi de +35% à la même période. Les projections parlent de 650 millions de personnes qui viendront s’ajouter (+40%) d’ici 2050 !

Pour ne citer que le contexte foncier de la Tunisie cité dans ce rapport, celui du pays se situe notamment dans le chapitre des obstacles qui ont lourdement pesé sur l’accès à la terre. Le rapport pointe du doigt le rôle des relations politiques pour le faciliter; la proportion d’entreprises ayant subi de graves contraintes liées à cette situation; l’effet du changement de régime (cas du village de Jemna situé sur des terres collectives appropriées aux tribus locales sous la colonisation, puis transférées à l’État après l’indépendance, et finalement récupérées par les villageois lors du printemps arabe – Foroudi 2020); l’inégalité des richesses; le cas particulier de la femme rurale; etc.

L’inégalité des sexes dans l’héritage

Le cas des femmes est particulièrement «criant» dans la région Mena plus qu’ailleurs au monde. Dans la Tunisie rurale, seulement 21% des femmes possédaient des terres au moment de leur décès, contre 87% des hommes. Elles subissent une forte pression sociale pour renoncer à leurs droits d’héritage sur la propriété, souvent sans compensation équitable (+70%). Or, une taxe sur les bénéficiaires masculins, lorsque les femmes renoncent à leurs droits de succession sur la propriété, pourrait contribuer à réduire l’écart entre les sexes, car l’argent collecté pour financer des initiatives favoriserait ainsi leur autonomisation.

Par ailleurs, l’égalité des sexes dans les droits fonciers a été promue au niveau international et a inspiré des initiatives, mais les exemples restent limités. En Tunisie, le rapport de la BM fait allusion au «droit d’hériter et de posséder des terres et des biens, qui est l’épine dorsale des efforts de la réforme législative en Tunisie».

En fait, en 2018, le président Béji Caïd Essebsi a proposé, sur recommandation du Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), un projet de loi instaurant la parité de l’héritage entre les femmes et les hommes qui a été approuvé, mais il s’est heurté à une forte opposition politique, et n’a pas été promulgué, cite le rapport.

Pour ce qui est des pratiques inefficaces d’attribution des terres dénoncées par le rapport, motivées par la poursuite des objectifs de l’indépendance alimentaire, en Tunisie par exemple, les bénéficiaires du bail peuvent être tenus de s’engager dans des types de production, pour lesquels ils peuvent ne pas avoir d’avantage comparatif (cas du propriétaire d’un terrain adapté à la culture qui doit s’engager en partie dans la production laitière !).

L’administration foncière en question

Du côté de l’administration foncière, la Tunisie se porte mieux que les pays Mena, selon la BM. L’indice de qualité portant sur un score de 0 à 30 points, positionne le pays en tête du classement avec 13,5 points, alors que la moyenne de la région est de 15,1. Le score couvre la fiabilité des infrastructures, la transparence de l’information, la couverture géographique, la résolution des litiges fonciers, l’égalité d’accès aux droits de propriété (Doing Business 2004-2020).

Par ailleurs, enregistrer une propriété foncière en Tunisie 2020, nécessite 5 jours, pour un coût de 6,1% de la valeur de la propriété foncière. En Syrie, il est de 28%, en Egypte, 11%, alors qu’au Maroc, il est de 6,4% et de 7,1% en Algérie. Cependant, des politiques visant à moderniser l’administration foncière, sont déjà envisagées ou formulées en Tunisie, rappelle la BM.

Connexion politique et accession aux terres

Concernant le rapport «politique-entreprises» dans la région Mena il y a 2 fois plus d’entreprises «politiquement connectées» (5,9%) qu’en Europe et en Asie centrale (2,4%). La majeure partie d’entre elles sont fortement présentes en Tunisie (27,9 %) où l’accès à la terre est un problème majeur, ou une grave contrainte à leurs activités commerciales, si elles n’ont pas d’attaches avec le milieu politique (30%).

Par contre, les entreprises «politiquement liées» ont moins de contraintes dans l’accès à la terre (12%). Cependant cite le rapport, le rôle de certaines connexions politiques a été affaibli ou perdu (32%), avec le changement de régime en 2011.

Les distorsions territoriales

Dans le chapitre des distorsions territoriales en Tunisie, la répartition des terres agricoles fait que de nombreuses petites fermes occupent une large fraction de la totalité du terrain. La fragmentation des terres agricoles résultant des politiques de redistribution des terres, ou de la division des parcelles suite à l’héritage, reste un problème omniprésent dans le pays.

Par ailleurs, les politiques d’autosuffisance alimentaire, ont conduit à d’importants apports en eau, liés à la production de cultures grande consommatrices d’eau suite aux prédictions selon lesquelles le système aquifère arabe sera épuisé d’ici les 3 à 14 prochaines décennies.

Compte tenu de tout ce qui précède, des réformes nécessaires ont proposées par la BM dans ce rapport, pour soutenir des décisions plus efficaces par les pays Mena, à savoir établir des processus transparents axés sur le marché pour évaluer et transférer les terres; élaborer des inventaires complets des terres publiques; et améliorer l’enregistrement des droits fonciers.

Ces réformes permettront aussi de garantir les fonctions sociales, économiques et fiscales des terres, en région Mena.

Le rapport précise toutefois que la rareté des terres et les problèmes de gouvernance, varient dans la région Mena. Aussi, les pays ont besoin d’approches adaptées à leurs propres défis.

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