Journaliste italo-français ou franco-italien, Alberto Toscano est aussi politologue et écrivain. Sa longue expérience lui permet de jeter un regard lucide sur les brassages humains et les échanges culturels, dans une Méditerranée pacifiée et propice aux interactions politiques.
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lozato *
L’invité du jour remplit une fonction de trait d’union entre l’Italie, son pays d’origine, et la France son pays de résidence. Sa collaboration avec la revue culturelle franco-italienne ‘‘La Voce’’, dirigée par Patrizio/Patrice Gaspari, en constitue un des reflets.
Régulièrement invité sur les plateaux télé ou radiophoniques francophones et italophones, il est l’auteur entre autres de ‘‘Sacrés Italiens!’’ (Armand Colin, Paris, 2014) et de sa version italienne ‘‘Benedetti Italiani!’’ (Della Porta Editori, Pisa, 2014), ‘‘La Cina compie il miliardo’’ (Il corriere del Ticino, Lugano, 1980) ou encore ‘‘Critique amoureuse des Français’’ (Hachette, Paris, 2009).
Kapitalis : Comment peut-on vous définir : journaliste, écrivain, chercheur, politologue?
Alberto Toscano : Je suis journaliste. J’aime ce métier et je l’exerce depuis 1974. Métier que j’adore. Oui, je suis fier d’être journaliste et de pouvoir le revendiquer.
Mais à présent se pose un problème : ce métier de journalisme est en train de traverser une période difficile car tout le monde peut à présent se prétendre journaliste sur Internet. N’importe qui a la possibilité d’exprimer son opinion. D’un autre côté, c’est un aspect pouvant se voir interpréter comme positif, démocratisant. Mais d’un côté, le principal aspect d’après moi est négatif; en effet il y a un problème à double titre : on véhicule des calomnies et on banalise la profession de journaliste sous un angle biaisé. Or il y a des règles précises. Vérifier les sources en fait partie. Il faut écrire des choses pour éclairer le lecteur, respecter sa sensibilité. Le problème c’est qu’avec le Net il y a moins de déontologie, ou même aucune avec la volonté de nuire à travers le phénomène «fake news».Tout ça dans son ensemble met en difficulté ce métier à l’ancienne.
Pour résumer donc, je suis principalement journaliste attaché aux anciens principes, journaliste politique. Alors je tente de faire au mieux vu mon domaine d’intervention. Je constate avec amertume l’actuelle évolution des choses.
Vous résidez à Paris tout en étant régulièrement amené à retourner en Italie. Ce mouvement de balancier est-il bénéfique?
Souvenons-nous de tous ces Italiens qui ont fait la France, de Léonard de Vinci à Pierre Cardin. C’est pourquoi, j’ai rédigé le livre ‘‘Ti amo Francia’’ («France je t’aime»). De Catherine de Médicis à Garibaldi, sans oublier bien entendu le dernier «poilu» français Lazare Ponticelli.
Ecrire c’est ma contribution, et d’autres ont contribué d’une autre manière.
A l’origine toute une série de contrats européens avaient été établis en France avec des immigrés italiens. Ce sont ces derniers et leurs descendants qui ont forgé une sorte d’histoire familiale collective. D’ailleurs le dernier chapitre de mon livre lui rend hommage, en présentant un angle de vue basé sur une histoire des migrants conciliant travail et liberté acquise. Comme à l’époque du fascisme où on fuyait l’Italie pour ne plus vivre en dictature.
Cela a finalement débouché sur une intégration très réussie. On peut illustrer ce succès en évoquant les patronymes Filippetti (a été ministre de la Culture en France) et Bartolone (a rempli les fonctions de président de l’Assemblée nationale française).
Cette vague impressionnante de migrants qui ont fait la France en faisant du travail une valeur principale sont tout à notre honneur (paysans frioulans dans le Gers, les mines de l’est de la France, zones où s’était installée la famille de Michel Platini).
Au vu de tout cela, j’ai pris la décision de publier un livre sur la période très dure du fascisme. Pour les 100 ans de la Marche sur Rome, il s’agira d’une réflexion à partir de l’antifascisme.
Comment te sens-tu entre les deux pays : conciliateur, observateur, médiateur, polémiste?
Polémiste non. Messager peut-être. Tout simplement journaliste avec deux points de vue.
France et Italie, les droites parallèles peuvent se confondre ou bien l’entrecroisement est-il si difficile?
J’habite à Paris depuis 1986. Cela fait donc 36 ans. Sans compter une année d’études dans les années soixante-dix. La France a beaucoup changé. Elément fondamental de ce changement : l’intégration à l’Europe. Alors on peut affirmer que France et Italie ont une relation plus étroite. Donc elles sont moins étrangères l’une pour l’autre. Mon rôle serait alors, à partir de ce contexte, de favoriser la compréhension. En fait, le problème n’est pas ma personne à la base, mais nous tous dans le secteur de la communication et du journalisme. Oui, voilà, alors ma fonction serait faciliter la communication.
Comment vous positionnez-vous la Tunisie par rapport à l’échiquier franco-italien ou italo-français?
Justement la Tunisie a aussi un rôle fondamental à jouer. Celui d’un trait d’union. Déjà, je repense au fait que Claudia Cardinale, symbole du cinéma italien, soit née à La Goulette. La Tunisie a été importante à la fois pour l’immigration italienne et aussi stratégiquement si l’on repense à l’épisode de «Lo schiaffo di Tunisi». (La «gifle de Tunis» était une expression journalistique utilisée par la presse et l’historiographie italiennes dès la fin du XIXe siècle pour décrire un épisode de la crise politique qui eut lieu à l’époque entre le Royaume d’Italie et la Troisième République française, lorsqu’en 1881, par une action de force, la France établit le protectorat sur la Tunisie, déjà cible des objectifs coloniaux du royaume d’Italie, Ndlr).
Maintenant, il faut regarder l’avenir et la nation tunisienne est devenue l’interlocutrice privilégiée en tant que partenaire fondamental. Pensons aussi à un personnage comme Catarinecchia, italien engagé en 1943 dans la Résistance en Tunisie, et parvenu jusqu’au nid d’aigle de Hitler. Belle image qui nous montre un lien possible de trait d’union avec la France soit de la part de l’Italie, soit de la part de la Tunisie.
La Tunisie semble actuellement dans une impasse. Qu’est-ce que vous en pensez?
Je ne suis pas expert mais ce que je peux dire est qu’on a besoin d’une Tunisie stable, pragmatique, les pieds sur terre, qui reste un Etat interlocuteur prioritaire de l’Europe sur la rive méridionale de la Méditerranée. Ensuite elle se doit d’orienter son développement économique. J’ai en fait du mal à dire qui pourra finir cette politique, mais je suis certain d’une chose : l’obligation d’une stabilité, et il y a déjà sa possibilité envisagée contrairement à d’autres endroits.
Avez-vous déjà visité la Tunisie ou bien d’autres pays arabes ou africains?
J’ai visité la Tunisie en tant que vacancier. J’ai aussi été amené à visiter le Maroc en tant qu’envoyé spécial de ‘‘Panorama’’. Puis il m’est arrivé de partir pour le Sénégal pour des reportages. Il m’est aussi arrivé par le passé de parler de l’Egypte, de l’Algérie et de la Chine dans le cadre d’un discours sur le non-alignement.
Quel serait votre mot de la fin?
La Méditerranée a rempli un rôle fondamental dans la politique intérieure des pays riverains certes, mais aussi dans leurs interactions. Il s’agit d’une voie des plus intéressantes.
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