Aujourd’hui, dans un monde globalisé, la souveraineté des pays est un concept périmé qui doit être révisé à la lumière des changements, des bouleversements en cours et de la nécessaire intégration dans l’économie mondiale y compris par les institutions, puisque les notions d’Etat et de nation et les relations entre gouvernants et gouvernés ne traduisent plus un consensus sur l’avenir et les intérêts des peuples.
Par Ould Amar Yahya *
Pour les esprits exigeants dans la rigueur de leurs analyses, il n’est pas juste systématiquement de tout condamner ou de tout critiquer de la gestion des pays africains. Il est cependant plus crédible de proposer des solutions qui incarnent une espérance et non une illusion.
Le monde de ce 21e siècle n’a pas son équivalent dans l’histoire humaine. Il est porteur de bouleversements technologiques sans précédent qui affecteront nos façons de penser, d’étudier, de se soigner, de s’habiller, de se nourrir, de se déplacer, de se défendre…
Aujourd’hui, dans un monde globalisé, la souveraineté des pays est un concept périmé qui doit être révisé à la lumière des changements, des bouleversements en cours et de la nécessaire intégration dans l’économie mondiale y compris par les institutions, puisque les notions d’Etat, de nation et les relations entre gouvernants et gouvernés ne traduisent plus un consensus sur l’avenir et les intérêts des peuples.
Le non-partage d’une partie des souverainetés nationales empêche l’édification, aujourd’hui, d’une Union africaine (UA) capable d’assurer pour tous, la prospérité, la démocratie, la sécurité et le respect des droits humains. La réalisation d’une telle Union sera un contre-pouvoir indispensable qui limitera les éventuels excès néfastes des pouvoirs nationaux et qui ira dans le sens de la sagesse africaine.
De quel partage de souveraineté s’agit-t-il ?
Dans le cas du partage de souveraineté souhaité, l’UA ne décidera pas toute seule, mais via ses Etats membres qui accepteront de mettre en commun leur pouvoir de décision, dans certains domaines précis qu’ils auront ciblés.
Il n’y a donc pas lieu d’avoir des inquiétudes infondées.
Les actions de l’UA seront, sans nul doute, plus efficaces que celles des Etats, pris individuellement, dans les domaines relatifs à l’union douanière continentale, aux règles de concurrence, à la protection des ressources halieutiques, aux conclusions de certains accords internationaux avec de grandes nations ou grands ensembles, à la politique monétaire si la monnaie africaine est créée…
L’UA devrait avoir un partage de compétence avec les Etats dans certains domaines, comme la santé publique, la politique sociale, les libertés individuelles, la justice, la sécurité, la protection des consommateurs…
Le constat : depuis les indépendances des pays africains, des générations de dirigeants, d’acteurs économiques, de travailleurs, de syndicalistes, d’intellectuels ont essayé collectivement, sans franc succès, de relever les défis du développement d’un continent qui a subi durant des siècles, ce qu’aucun autre n’a enduré : l’esclavage, l’humiliation et le pillage des ressources.
L’Afrique a connu des révolutions sanglantes, des guerres civiles meurtrières, les ravages des idéologies importées, les dictatures, les désastres de la corruption et le mépris du droit.
Les générations actuelles d’Africains, totalement ouvertes sur le monde via les réseaux sociaux, ne veulent plus du statuquo, exigent plus de liberté et de démocratie, rejettent les dictatures, les violations des droits humains, l’injustice, la corruption et le pillage des biens publiques.
Elles savent qu’elles sont les «seuls maîtres» du développement de l’Afrique, qu’il est suicidaire de compter sur les autres pour leur trouver des solutions à leurs difficultés, que le statuquo, le bon sens et les expériences du passé ont montré leurs limites voire leurs échecs, que la recherche d’une voie d’espérance s’impose à tous.
Les générations passées des dirigeants, dans leurs recherches des voies du salut ont fait ce qu’elles ont pu et surtout ont réussi à faire éviter à la plupart des pays africains de sombrer dans le chaos et la désolation, malgré la multitude de menaces et la faiblesse de leurs moyens pour y faire face.
La voie de l’Union africaine s’impose
L’UA apparaît comme la meilleure voie pour préserver la pérennité de l’autonomie et la protection de la diversité des pays africains.
Ses avantages sont attractifs :
- la promotion du développement économique et social en encourageant les investissements, le commerce intra-africain, la libre circulation des personnes et des biens, et en coordonnant les politiques économiques;
- le renforcement de la coopération et de l’intégration entre les pays africains;
- la coordination de la réponse aux défis actuels tels que la pauvreté, la sécurité alimentaire, le coût de l’énergie, la santé, l’éducation, le numérique, les industries de transformation, les infrastructures et le changement climatique;
- le renforcement de la voix de l’Afrique sur la scène internationale pour une meilleure défense des intérêts communs;
- l’amélioration de la sécurité collective en facilitant la résolution des crises;
- le renforcement du droit, de la justice, des libertés individuelles et de la démocratie sur le continent;
- la création de marchés financiers africains et d’une monnaie commune pour assoir les fondements du développement économique.
Les opinions africaines se doivent de se mobiliser à travers leurs structures politiques pour faire accepter, dans chaque pays, l’abandon d’une partie de sa souveraineté au profit de la souveraineté de tous, c’est-à-dire de la souveraineté collective qu’incarnera la future UA.
Les rôles et poids des opinions publiques, des médias, des intellectuels sont importants, puisqu’il n’est pas pertinent de laisser aux dirigeants africains le soin de limiter eux-mêmes leurs pouvoirs ou de créer des contre-pouvoirs qu’ils ne peuvent contrôler ou distribuer.
Le handicap du non-partage des souverainetés nationales
Le non-partage des souverainetés nationales des pays africains constitue un obstacle au développement du continent. En effet, il limite ses capacités à collaborer profitablement avec d’autres grandes nations, grands ensembles ou organisations et à tirer parti des avantages de la mondialisation.
Cette souveraineté individuelle est un facteur d’isolement économique, politique et technologique qui entrave l’émergence de l’Afrique.
Elle peut également être le prétexte de certains dirigeants pour justifier des politiques inefficaces, corrompues ou discriminatoires, pouvant entraver le développement économique d’un pays et lui créer une instabilité politique.
Les peuples africains sont devant un arbitrage entre une situation actuelle de difficultés permanentes pour chaque pays pris individuellement et un avenir de prospérité collective pour tous.
Il n’y a pas de raison valable d’avoir peur d’une UA ou même d’Etats fédérés.
La forme de gouvernance de la future UA pourrait être à l’image de celle de l’Union européenne ou plus encore d’Etats fédérés comme : le Brésil, les Etats-Unis (52 Etats), le Canada, l’Australie, l’Allemagne, la Suisse, la Russie, l’Argentine, l’Inde (28 Etats), le Pakistan, la Malaisie, le Népal, le Nigéria (36 Etats), l’Afrique du Sud, l’Ethiopie…
Pour plusieurs de ces pays, le fédéralisme a permis de réduire efficacement les contestations internes, les tensions sociales, les conflits ou revendications communautaires ou ethniques, en offrant une meilleure représentation des différents groupes, une certaine autonomie à leurs régions ou États.
Le fédéralisme favorise également le développement économique en permettant une plus grande flexibilité fiscale et réglementaire au niveau régional au profit de l’investissement et de la croissance, ainsi qu’une meilleure prise en compte des spécificités locales, des défis et des opportunités pour le développement économique. Les gouvernements régionaux peuvent ainsi concevoir des politiques de développement qui répondent aux besoins locaux.
Dans les pays susmentionnés, le fédéralisme a contribué au renforcement de la démocratie en créant des institutions politiques et des processus électoraux plus décentralisés.
Il ne devrait donc pas s’agir pour les Africains d’une peur de l’inconnu puisque de nombreuses formes d’unions existent sur tous les continents et ont été porteuses de paix, de prospérité, de démocratie et de justice sociale.
Les Africains se doivent de lever les écrans de préjugés qui, depuis la colonisation, les séparent, pour que l’avenir de leurs générations futures ne soit pas l’image peu reluisante du présent de celles actuelles.
* Economiste, banquier, financier.
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