Dès le déclenchement de l’opération militaire russe sur le territoire de l’Ukraine, le 24 février 2022, les institutions occidentales – non pas internationales, comme aiment se dire les fonctionnaires occidentaux en ayant la prétention d’une représentativité mondiale – se soulèvent d’une manière particulièrement prompte et se rappellent, tout à coup, de l’importance et de la pertinence du droit pénal international.
Par Oleg Nesterenko *
Ils se rappellent l’importance et la pertinence du droit pénal international qui régit la poursuite des personnes responsables de crimes internationaux, en particulier des crimes d’agression, crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, droit qui restait dans les oubliettes et dont l’existence même paraissait discutable lors des guerres d’agression menées par les pays occidentaux et largement accompagnées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Ce droit est, enfin, mis sous les projecteurs bienveillants des administrateurs du «joli petit jardin entouré de hauts murs pour empêcher la jungle de l’envahir», selon l’expression tant poétique de Josep Borrell, le responsable de la politique étrangère du «joli petit jardin».
Les doubles standards
Dès le moment qu’un conflit armé ne fait pas partie de ceux lancés par un pays ou une coalition occidentale, une mobilisation des acteurs régionaux et internationaux totalement inédite, selon les déclarations mêmes des acteurs occidentaux, est entreprise dès les premiers jours de la campagne militaire de Russie.
Une initiative dont l’ampleur est sans précédent dans l’histoire contemporaine, et ceci sans aucune préoccupation des voix d’indignation qui se lèvent de par le monde exigeant de savoir pourquoi lors d’agressions étatiques répétées de grandes ampleurs des dernières décennies commises par l’Occident, strictement aucune mobilisation au niveau des institutions judiciaires dites internationales n’a eu lieu ou, plus exactement, a été étouffée à chaque fois par les puissances dominatrices.
Le silence en guise de réponse est parfaitement placé, car on ne répond pas à des questions rhétoriques : les agresseurs, quand ce sont les pays occidentaux avec les Etats-Unis en tête, ne sont pas particulièrement motivés ni pour se trainer devant la justice internationale, ni pour y être condamnés.
La toute récente déclaration de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans le cadre du soi-disant examen par la Commission de la version de l’implication des États-Unis dans les explosions du Nord Stream : «au cours de toutes les années d’existence de l’Amérique, pas un seul fait de violation du droit international ou d’actions hors du cadre du droit international n’a été établi et confirmé. La réputation irréprochable de l’État américain nous permet de ne pas envisager cette version»… atteint des sommets inégalés de cynisme.
Dès février 2022, les pays du monde non occidental, observant la flagrance des doubles standards appliqués d’une manière systématique par la communauté politico-militaire occidentale, s’éloignent d’une manière accélérée de cette dernière, constatant, à juste titre, qu’ils peuvent être les prochaines victimes du réveil du zèle occidental vis-à-vis du droit international
Le futur vote onusien en faveur d’un «tribunal» contre la Russie
A l’instar des Etats-Unis qui utilisent l’extraterritorialité du droit américain contre leurs concurrents en tant qu’arme de guerre économique– ce qui est totalement illégal selon le droit international, mais parfaitement légal et commode du point de vue de la législation américaine – le bloc atlantiste se penche sur la question de la création d’une structure judiciaire extraterritoriale.
Une telle structure serait totalement illicite selon le droit international et ne représenterait qu’une faible minorité en termes de la population de la terre étant constitué que du bloc occidental et des pays se situant sous la domination politico-économique de ce dernier.
Lors du futur vote qui ne peut être que consultatif de l’Assemblée générale de l’Onu à l’initiative du bloc occidental sur la création d’un tribunal contre la Russie, le score plus que médiocre vis-à-vis de la représentativité de la population mondiale est connu d’avance.
Alors, c’est le nombre de pays qui l’approuveront qui sera mis en avant. Le nombre qui serait dû, notamment, à l’approbation par les Etats nains tels que San Marino, Kiribati, Luxembourg, Vanuatu, Monténégro, Antigua et Barbuda, Liechtenstein, Bahamas, Islande, Nauru, Andorre, Comores, Barbade, Fiji, Malte, Iles Marshall, Micronésie, Monaco, Monténégro, Palau, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa, Lituanie, São Tomé-et-Príncipe, Tonga, Tuvalu, Estonie, Chypre, Djibouti, Lettonie et Trinité-et-Tobago. L’ensemble des votes de ces 33 pays mentionnés dont la population en commun ne représente, à titre d’exemple, même pas 10% de la population d’un seul pays tel que le Brésil, seront présentés par le bloc «atlantiste» en tant que «majorité» faisant partie du monde «libre et démocratique».
Les pays non occidentaux qui voteront contre la Russie seront uniquement ceux qui se trouvent sous la domination politico-économique partielle ou totale de l’Occident. Comme exemple, la République islamique des Comores – pays que je connais assez bien, étant, depuis plus de quinze ans, conseiller spécial d’un ancien ministre de l’Intérieur, ancien candidat à la présidence des Comores et président d’un parti politique de l’opposition. Un pays qui votera fort probablement en faveur de la création d’une Cour pour l’Ukraine, de plus que les Comores ont une bonne expérience dans le domaine : ils ont déjà créé par le passé une Cour spéciale permanente qui s’appelle Cour de la Sûreté d’Etat – outil de la répression de l’opposition dans les mains de la dictature installée au pouvoir avec l’aide bienveillante de ses superviseurs occidentaux dans le cadre de leur politique néocoloniale.
Les fondements «légaux» du tribunal contre la Russie ou un exercice de la démagogie hors la loi.
Le verdict est déjà prononcé
Dans cet article, mon attention n’est ni de démontrer les éléments tant nombreux et indiscutables de la sélectivité toute particulière du camp occidental «atlantiste» vis-à-vis du choix des pays visés par leur indignation dit des «civilisés» face à la barbarie, ni de d’étaler leurs propres et nombreux crimes d’agressions, crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par le monde d’une manière quasi discontinue durant les dernières décennies et restés totalement impunis, ni de commenter les preuves matérielles plus que discutables et les mises en scènes présumées entreprises par le pouvoir ukrainien sur le théâtre de guerre en Ukraine, ni même de pointer du doigt le refus général et silencieux de l’Occident collectif à admettre et à prendre en considération non pas des dizaines, mais plus d’un millier de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par les représentants de l’Etat ukrainien contre une partie de son propre peuple – crimes parfaitement documentés et répertoriés par les institutions judiciaires du Donbass.
Mon intention présente n’est que de commenter sur le plan légal les fondements du futur tribunal international hypothétique contre la Russie.
Le 20 et 21 octobre 2022, le Conseil Européen avait invité la Commission Européenne à étudier les options qui permettront «de faire en sorte que les responsables répondent pleinement de leurs actes».
Le 30 novembre 2022, la Commission Européenne propose la création d’un tribunal spécial soutenu par les Nations unies pour juger la Russie pour les «atrocités et crimes commis pendant la guerre en Ukraine». La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonce : «Tout en continuant à soutenir la Cour pénale internationale, nous proposons de mettre en place un tribunal spécial, soutenu par les Nations unies, pour enquêter et poursuivre le crime d’agression de la Russie».
Le 9 décembre 2022, le Conseil de l’Europe adopte ces propositions et invite tous les États membres à permettre l’exercice d’un tribunal ayant une compétence universelle ou une compétence nationale, afin de «garantir le succès des enquêtes et des poursuites sur les crimes de guerre commis par la Russie en Ukraine».
Les déclarations du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne ne sont que purement démagogiques. Car, d’une part, l’expression affirmative prémonitoire et l’ignorance flagrante du Conseil de l’Europe du principe de base de la jurisprudence en matière pénale qui est la présomption d’innocence, inscrite, aussi étonnant que cela peut paraître dans le cas présent, dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et qui se fonde sur l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU – est un élément plus que parlant sur le fonctionnement et l’objectivité du prétendu futur «tribunal».
En ce qui concerne les garanties du «succès des enquêtes» – c’est déjà de l’acquis. Nulle importance s’il y aura des enquêtes sérieuses ou non : ceci est factuellement prouvé par les déclarations affirmatives contre la Russie avant même le commencement de l’étude des preuves. En vue de la spécificité du «tribunal» que le bloc occidental est en train d’envisager de mettre en place, il est totalement inconcevable que les «preuves» présentées puissent être irrecevables et classées sans suite.
Le résultat d’un «procès» contre la Russie dans le cadre d’un tel «tribunal» est connu d’avance. Nul besoin ni de preuves, ni de juges, ni d’avocats : le verdict est déjà prononcé.
D’autre part, unique possibilité de garantir le succès des poursuites sur «les crimes de guerre commis par la Russie en Ukraine» est la bonne volonté du système judiciaire de la Fédération de Russie à participer dans la mascarade politique de la chasse aux sorcières qui est en train d’être organisée par les institutions européennes qui n’ont aucune légitimité ni juridique, ni morale auprès de la Russie. Le futur verdict ne sera, bien évidemment, jamais appliqué en conséquence de l’illégitimité en termes de compétences juridiques de son émetteur aux yeux, tout au moins, de la justice de la Fédération de Russie.
Il est important de noter que si tenir des discours accusatoires et des discours sur la création d’un nouveau «tribunal» de la part d’hommes politiques représentant le pouvoir «atlantiste» est parfaitement compréhensible et logique, vu la stratégie politique qu’ils représentent et les intérêts personnels dans la pérennisation des sièges qu’ils occupent, les entendre en écho de la part de nombreux prétendus experts, juristes et, surtout, universitaires et chercheurs occidentaux est déconcertant. Le déshonneur dans leur incapacité à surpasser la myopie analytique, l’incapacité de remonter aux véritables origines des faits et dans leurs tentatives maladroites de procurer un semblant de légalité à des démarches parfaitement illégales est flagrant.
Techniquement, l’option la plus souvent évoquée pour la création d’une Cour pour juger la Russie consisterait en l’adoption d’une résolution par l’Assemblée générale des Nations unies, à la plus large majorité possible.
Les «grands spécialistes» du droit international, qui ne sont pas dignes d’être mentionnés par leurs noms, mais qui se reconnaitront aisément dans ces lignes, affirment : même avec le véto de la Russie au Conseil de Sécurité pour la création d’un tribunal international contre elle, la solution pourrait être une résolution par l’Assemblée générale de l’Onu qui autoriserait les autorités ukrainiennes à travailler avec le Secrétaire général des Nations unies à l’élaboration d’un accord international qui établirait la future Cour, en fixerait le domaine de compétence et les règles de fonctionnement.
Une telle incompétence professionnelle de la part de «spécialistes» connus et reconnus en droit international ne peut que laisser perplexe.
Je ne peux que leur rappeler la réalité : même si les autorités ukrainiennes auront la possibilité de travailler avec le Secrétaire général des Nations unies à l’élaboration d’un accord international pour l’établissement d’un hypothétique futur tribunal, de telles actions n’auront jamais aucune valeur juridique au vu du droit international en vigueur et ne resteront que purement consultatives, symboliques et nullement exécutoires.
D’autres illustres professionnels du droit se lancent dans des spéculations : «quelles difficultés la future Cour pourrait-elle rencontrer dans l’exercice de ses pouvoirs ?» et affirment que les obstacles sont hypothétiquement nombreux, mais surmontables.
Ils trouvent la solution sur le principal problème consistant dans le principe nullum crimen sine lege, qui signifie qu’aucune incrimination, aucune peine ne peut exister, ni être prononcée sans avoir été prévue par un texte du droit déjà existant au moment de la réalisation d’un fait incriminé. La solution qu’ils présentent au futur non-lieu juridique est dans les modifications apportées au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale à l’issue de la conférence de Kampala en 2010, et, notamment, l’insertion de l’article 8bis qui fixe la définition du crime d’agression et, donc, selon laquelle la Russie peut en être jugée.
Les crimes de guerre occidentaux n’ont jamais été jugés
Sans avoir à rappeler aux illustres adeptes du droit sélectif qui sont les porteurs de cette «solution», à titre d’exemple, que l’agression de la Syrie dès 2017 par la coalition occidentale sans la résolution du conseil de sécurité de l’Onu à cet égard constituait directement un crime d’agression, selon les points «a», «b», «c» et «d» du paragraphe «2» de l’article 8bis du Statut de Rome qu’ils mentionnent et dont les auteurs de ce crime – les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et le Canada – n’ont jamais été poursuivis en justice, je tiens à leur rappeler les 4 faits de la réalité qui leur échappent:
- Dans le cas du conflit armé non conventionnel qui a actuellement lieu en Ukraine, la définition «crime d’agression», ou une similaire, ne sera jamais agréée par une très grande majorité d’Etats dans le monde et ne disposera donc nullement d’une nature coutumière – ce qui est une condition sine qua non, considération faite, du principe de légalité.
- Le droit international pénal retient comme principe la nécessité de comparution de l’accusé devant son juge. Et il est connu d’avance qu’aucun des futurs accusés ne se présentera jamais devant un tel simulacre de tribunal.
Nul besoin de commentaire sur la signification même d’un tel procès et sur l’équité du jugement in abstentia – en absence de l’accusé – qui aura lieu. - Dans la grande volonté de la coalition occidentale de faire comparaitre le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine devant le «Tribunal pour l’Ukraine», les partisans de cette idée oublient ou, plus exactement, font l’effort de ne pas mettre en avant un obstacle juridique majeur : le droit international procure l’immunité absolue aux chefs d’Etat en exercice.
Tout mandat d’arrêt émanant de quelque organe judiciaire que ce soit serait totalement illégal. - Et, surtout : la Fédération de Russie ne fait pas partie des pays signataires du Statut de Rome. Ce statut n’a donc aucune valeur juridique vis-à-vis de la Russie et, de facto, inapplicable sous quelque forme que cela soit.
De ce fait, d’une part, la Cour Pénale Internationale (CPI) gérée par ce statut est incompétente dans le domaine et, d’autre part, le nouveau hypothétique «Tribunal pour l’Ukraine» ne peut ni utiliser le statut de Rome qui n’est pas le sien, ni être compétent vis-à-vis de la Russie, exactement au même titre et pour les même raisons juridiques que la CPI.
Dans le cadre du droit international un tribunal contre la Russie n’aura aucune légitimité juridique.
Néanmoins, ses préconisateurs défendent l’idée que dans le cas de la création d’une telle structure la participation et l’approbation de la Russie ne seront pas requise, au même titre que l’approbation de l’Allemagne n’a pas été requise lors du procès de Nuremberg en 1945-46, ni celle du Japon, lors du procès de Tokyo en 1948.
De ce point de vue, l’ignorance et le ridicule contradictoire des auteurs de l’initiative d’un «Tribunal pour l’Ukraine» sont d’une profondeur abyssale.
D’une part, l’idée de juger le président russe à l’instar du tribunal de Nuremberg est totalement farfelue : il a été possible de juger les fonctionnaires allemands en 1945-1946 qu’à la suite de la perte de leur immunité individuelle. Et cela n’a été dû uniquement au fait que le Conseil de contrôle allié était le gouvernement de l’Allemagne. C’est en tant que gouvernement de l’Allemagne, qu’il a levé l’immunité de ses fonctionnaires. Une procédure inimaginable, bien évidemment, de part du gouvernement de la Fédération de Russie vis-à-vis de son président.
Ceci est sans même rappeler aux ignorant un autre fait : celons la législation russe, le chef de l’état est le bénéficiaire de l’immunité personnelle non seulement durant le délai de son mandat, mais à vie.
D’autre part, si la participation et l’approbation de la Russie ne sont pas requises dans le cadre de la création d’une telle nouvelle institution judiciaire internationale, alors, nul besoin de la créer. Il suffit d’utiliser la structure déjà existante de la CPI, dont, comme mentionné précédemment, la Russie n’est ni signataire, ni participante. Si même les défenseurs de l’idée de la création d’un «Tribunal pour l’Ukraine» reconnaissent que la CPI est incompétente dans le cas de l’Ukraine, en quoi la nouvelle institution à créer en serait davantage ?
La réponse à cette question est illégale du point de vue du droit international, mais très simple est parfaitement pragmatique : les États parties au Statut de Rome et donc à la CPI sont en nombre de 123, dont la majorité n’est certainement pas favorable à des agitations du camp occidental face à la Russie. Il est donc nécessaire pour ce dernier de créer un nouveau «club» en comité plus restreint qui exclura les pays-participants pro-russes auprès de la Cour Pénale Internationale, tels que le Brésil, l’Afrique du Sud, la Croatie, le Venezuela et tant d’autres.
La bonne volonté de la Fédération de Russie
Néanmoins, je crois à la bonne volonté de la Fédération de Russie de trouver un consensus avec l’occident collectif au niveau du jugement des événements en Ukraine.
Dès le moment que les pays occidentaux – auteurs des crimes d’agression, crimes de guerre et des massacres de masse des populations civiles, les Etats-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni en tête de liste – seront traduits en justice, jugés et condamnés ne serait-ce que pour les derniers sur la longue liste, dont on peut mentionner ceux de l’Irak en 1990-2022, de la Serbie en 1999, de la Libye en 2011, de l’Afghanistan en 2014-2022 et de la Syrie en 2014-2022, je crois très sincèrement que la Fédération de Russie sera parfaitement disposée à participer à un Tribunal International pour juger les événements en Ukraine et pourra même y apporter une contribution considérable en y amenant plus de 1300 dossiers d’instructions accumulés sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par les représentants du régime de Kiev contre le peuple ukrainien depuis le déclenchement en 2014 de la guerre en cours.
* Président du Centre de commerce et d’industrie européen, ancien professeur auprès des masters des Grandes écoles de commerce de Paris.
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