La Tunisie, le FMI et les Brics

Pour la Tunisie, il n’est pas question de choisir entre tel ou tel bailleur de fonds, le FMI ou les Brics, mais de renouer avec une croissance forte, nécessaire pour espérer attirer des soutiens financiers internationaux, et pour cela il n’y a pas d’autre choix que de mettre en œuvre les réformes structurelles déjà décidées, en essayant d’en atténuer les coûts sociaux.

Par Atef Hannachi *

En pleine crise économique, qui a dégénéré en instabilité politique à l’échelle internationale, marquée notamment par la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la Tunisie, elle aussi aux prises avec une crise politique et économique, semble exiger un traitement privilégié dans ses négociations avec le Fonds monétaire internationale (FMI) pour un nouveau programme de prêt de 1,9 milliard de dollars.

Rappelons que l’histoire des rapports entre la Tunisie et ses deux principaux bailleurs de fonds – FMI et Banque mondiale (BM) – durant les soixante dernières années peut être divisée en trois grandes périodes. Les premières opérations de la BM s’inscrivent dans les choix «socialisants» de la Tunisie en matière de développement qui dominent la période 1961-1969.

Durant ces années, Ben Salah instaure le primat de l’industrie comme moteur du développement. À la fin des années 60, la BM est à la fois un des principaux créanciers de la Tunisie et un soutien non négligeable à la politique tunisienne de développement à tendance industrialisante menée sous la houlette de l’État.

Le tournant libéral des années 1970

Les deux institutions accueillent toutefois avec satisfaction le tournant libéral de 1969-1970: la priorité en Tunisie est désormais donnée aux exportations et le secteur privé est convié à participer massivement à cette seconde étape de l’industrialisation.

Au cours de ces deux périodes, les rapports entre Tunis et les bailleurs de fonds ne changent pas profondément de nature. C’est, en fait, la décennie 80 qui inaugure une profonde mutation dans la nature de ces relations: la détérioration de la situation économique tunisienne coïncide avec le triomphe d’un néolibéralisme dont la BM et le FMI se font les champions, ce qui réduit la capacité de négociation des Tunisiens et renforce les exigences des deux organisations. La Tunisie depuis 1983 est obligée d’accepter la conditionnalité aggravée et l’intervention directe dans la gestion de ses affaires.

Après la révolution de 2011, c’est avec le gouvernement de Youssef Chahed qui a commence le programme de réforme économique national financé par la BM et le FMI, programme qui n’a pas abouti à réaliser la croissance escompté ni d’ailleurs à la mise en œuvre des réformes structurelles convenues et sur lesquelles notre pays s’était engagé.

Par ailleurs, il y a lieu de préciser que les relations financières entre Etats sont tributaires de leurs relations diplomatiques et conditionnées par des considérations géostratégiques, l’intérêt commun et l’exigence de loyauté.

Les Brics sont-ils une alternative ?

Actuellement, certains analystes pensent que la Tunisie peut s’adresser au groupe des cinq pays des Brics pour diversifier ses sources de financement. Ce nouveau bailleur de fond dominé par la Chine n’a pas d’historique avec la Tunisie, malgré l’existence de relations commerciales bilatérales avec chacun des pays qui compose le groupe.

Avant de se tourner vers ce nouveau bailleur de fonds, il y a lieu d’analyser ses exigences, les impacts qu’elles pourraient avoir sur les relations de la Tunisie avec ses bailleurs de fonds traditionnels et l’intérêt que les pays composant ce groupe pourraient avoir en Tunisie, étant entendu qu’aucun soutien financier n’est gratuit.

L’ensemble des Brics est constitué de pays émergents, dont deux puissances économiques, la Chine et la Russie, qui s’associent pour se soutenir mutuellement pour faire face au risque de domination de l’Occident.

De 2022 à 2026, la banque de Brics fournira un soutien financier de 30 milliards de dollars aux pays membres, dont 40% des fonds seront utilisés pour ralentir le processus de réchauffement climatique. 

Coparrainée par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, la Nouvelle banque de développement vise à mobiliser des ressources pour des projets d’infrastructure et de développement durable dans les économies émergentes et les pays en développement tels que ceux membres des Brics, et à servir d’institution financière multilatérale et régionale pour la croissance et le développement mondiaux.

La nécessaire relance de la croissance  

D’un point de vue financier, les Brics, comme tout bailleur de fonds, exige des pays membres un minimum de croissance économique. Or, selon la BM, la croissance du PIB de la Tunisie pour 2023 devrait avoisiner les 2,3%, avec une variation considérable en fonction de l’avancement des conditions de financement et des réformes structurelles. Une réforme critique consiste à supprimer progressivement les subventions énergétiques, devenues de plus en plus coûteuses, représentant en moyenne 2,1% du PIB au cours de la dernière décennie et ayant bondi à 5,3% en 2022. La croissance étant la garantie de solvabilité d’un pays au regard des bailleurs de fonds, qu’il s’agisse du FMI ou des Brics, on comprend que la tâche de la Tunisie ne sera pas de tout repos pour espérer se financer.

Plusieurs pays se sont tournés vers le Brics sans tourner le dos à l’Occident, car il est de leur intérêt de garder de bonnes relations avec toutes les composantes du nouvel ordre international qui est en train de se mettre en place, et ce afin de préserver leur neutralité et éviter tout choc politique avec un bloc ou un autre.

En conclusion, nous pouvons dire que pour la Tunisie, il n’est pas question de choisir entre tel ou tel bailleur de fonds mais de renouer avec une croissance forte, nécessaire pour espérer attirer des soutiens financiers internationaux , et pour cela il n’y a pas d’autre choix que de mettre en œuvre les réformes structurelles déjà décidées, en essayant d’en atténuer les coûts sociaux.

* Expert-comptable.

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