Face à des ressources en devises qui se réduit en peau de chagrin, dont les réserves sont évaluées aujourd’hui à 95 jours d’importation, la Tunisie doit œuvrer à maîtriser son déficit commercial avec la Chine et la Turquie, qui représentent depuis plusieurs années ses deux plus importants déficits commerciaux.
Les ressources en devises de la Tunisie sont limitées en raison du blocage des financements extérieurs et l’État tunisien est appelé à concentrer ses efforts sur son front intérieur à travers la maîtrise du déficit de la balance des paiements extérieure et de la balance commerciale, notamment avec la Chine et la Turquie, ont recommandé des économistes.
Le déficit commercial avec ces deux pays, qui bénéficient d’accords commerciaux au détriment de la Tunisie, s’élève à près de 2,7 milliards de dinars sur un total de 3,8 milliards de déficit global.
Une menace pour la production locale
Cette situation n’est pas nouvelle, d’autant plus que les indicateurs de l’Institut national de la statistique (INS) pour l’année 2022 ont montré que la valeur des importations tunisiennes en provenance de la Turquie atteignait, en novembre 2022, près de 4,7 milliards de dinars, alors que les exportations tunisiennes vers ce pays ne dépassent guère 1 milliard de dinars.
Le déficit commercial de notre pays avec la Turquie s’est accru à 3,6 milliards de dinars, dépassant le financement extérieur net total du pays au cours de l’année 2022, estimé à 3,4 milliards de dinars, selon les dernières données du ministère des Finances publiées dans son dernier rapport sur l’exécution du budget de l’Etat pour février 2023.
La question du déficit commercial de la Tunisie avec la Chine et la Turquie a fait l’objet de plusieurs études, dont une préparée par l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE). Publiée le 25 janvier 2022, cette étude a montré que ce déficit a épuisé les réserves de change du pays et constitue une réelle menace pour la production locale.
L’observatoire a également montré une tendance à la baisse des importations tunisiennes vers le pays de l’Union européenne (UE) en faveur de la Chine, de la Turquie et d’autres pays. Cependant, la question qui se pose concerne l’impact de ces importations sur l’économie du pays.
Selon l’observatoire, la position de la Chine et de la Turquie aux premiers rangs des pays fournisseurs de la Tunisie menace un certain nombre de secteurs, qui perdent encore leur part du marché intérieur.
L’Utica pour l’annulation des conventions déloyales
L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) a souligné que la réforme doit s’appuyer sur des approches scientifiques intégrées. Elle a appelé en ce sens à éviter de gaspiller davantage de temps et de ressources et à cesser le recours excessif à la dette extérieure pour financer les besoins de consommation au détriment de l’investissement.
La confédération patronale a mis en garde aussi contre le recours excessif aux importations de ce que le pays est capable de cultiver ou de fabriquer localement ainsi que contre l’insouciance et le manque de fermeté face à l’ampleur du secteur informel au détriment du secteur organisé et des sociétés structurées.
Il est également essentiel, selon l’Utica, de lever tous les obstacles à la liberté de travailler et de produire, de soutenir l’initiative privée et de faciliter le lancement de projets productifs en vue d’atteindre le taux d’un porteur de projet par famille, afin d’alléger le fardeau du chômage, relancer l’activité économique et créer une nouvelle dynamique sociétale.
Les revendications de l’Utica s’appuient sur le diagnostic du marché intérieur, qui connaît une large diffusion des produits de consommation vendus dans les circuits informels, qui imitent souvent les produits tunisiens. Ces produits comprennent les vêtements, les cosmétiques et les ustensiles de cuisine.
Pour les observateurs du marché tunisien, les produits turcs sont une menace imminente, d’autant plus que le marché est en expansion.
Des demandes ont déjà été faites pour réviser l’accord de libre échange tuniso-turc signé en 2004 en termes d’échanges de produits et de marchandises compte tenu du déficit enregistré dans la balance commerciale de notre pays, en plus de l’aggravation des fléaux de la contrebande et du blanchiment d’argent relatifs à l’écoulement de ces produits.
Importations turques : des chiffres officiels incomplets
Les chiffres du commerce extérieur de la Tunisie publiés par les autorités gouvernementales, telles que le ministère du Commerce et l’INS, manquent de précision dans le détail des échanges de produits avec chaque pays. Cependant, de nombreuses bases de données internationales accréditées fournissent des statistiques commerciales précises pour la Tunisie et d’autres pays du monde.
Dans ce contexte, les statistiques et les données du site Internet du Centre du commerce international (une agence conjointe de l’Organisation mondiale du commerce et des Nations unies) montrent que, selon les dernières données actualisées pour l’année 2021, les échanges entre la Tunisie et la Turquie concernent principalement les produits exportées vers la Tunisie pour une valeur de 1 189,5 millions de dollars (l’équivalent de 3 449,6 millions de dinars tunisiens (MDT), contre des importations turques en provenance de Tunisie qui ne dépassent pas 230,2 millions de dollars (l’équivalent de 667,6 MDT), ce qui signifie que le déficit commercial de la Tunisie avec la Turquie est d’environ 2 862 MDT.
Selon le Global Trade Item Number (GTIN) des produits, la Tunisie importe de la Turquie des produits textiles/habillement (285,2 millions de dollars), des équipements manufacturés (240,7 millions de dollars) et divers produits de consommation.
Alors que les exportations tunisiennes vers la Turquie, selon les données du Centre du commerce international, sont principalement des engrais (72,5 millions de dollars) et des produits chimiques (60,4 millions de dollars).
Cependant, ces chiffres restent largement incomplets, étant donné que la plupart des importations en provenance de Turquie proviennent des circuits non-structurés.
D’autre part, un grand nombre de Tunisiens se rendent en Turquie pour le «tourisme» mais importent en fait des marchandises turques après avoir payé leur valeur en Turquie aux parties qui accomplissent toutes les procédures pour les exporter vers la Tunisie.
Les sociétés franchisées contribuent également à l’importation de grandes quantités de produits turcs. Il n’y a pratiquement pas de chiffres précis sur les activités de ces sociétés et leurs transactions malgré leur présence importante et croissante sur le marché tunisien depuis des années.
Marchandises de mauvaise qualité et blanchiment d’argent
Les importations turques ne répondent généralement pas aux normes industrielles tunisiennes, en plus du comportement de nombreux industriels turcs qui changent délibérément l’origine des produits exportés vers la Tunisie, qui sont majoritairement des produits chinois dans la plupart des cas, afin de profiter des avantages et exonérations douaniers, privilèges accordés dans le cadre de l’accord commercial Turquie-Tunisie, qui a été révisé en vue du démantèlement complet des droits de douane sur les importations turques en Tunisie en 2013, sous le pouvoir des islamistes du Mouvement Ennahdha.
L’analyse des données statistiques montre que le volume de marchandises turques qui ont afflué vers la Tunisie, au cours de l’année 2021, s’est élevé à 931 900 tonnes en poids, d’une valeur de 3396,4 MDT, ce qui signifie que chaque kilogramme de marchandises turques exportées vers la Tunisie coûte 0,3 dinars.
Selon ces données, les biens turcs sont censés être constitués de matières premières, d’équipements divers et d’équipements lourds, alors que les biens vendus en Tunisie sont principalement des produits de consommation légère constitués principalement de textiles, d’habillement, de plastiques ménagers, de matériaux de décoration et de quelques produits alimentaires simples.
Cette situation s’explique très probablement par le fait que certains fournisseurs recourent au gonflement de la valeur des importations en provenance de Turquie dans le cadre des relations de partenariat qu’ils entretiennent avec des entreprises turques, ce qui est considéré comme des opérations de contrebande et de blanchiment d’argent dans le cadre de flux financiers illégaux.
Selon un rapport publié par l’OTE fin 2019, la Tunisie est le premier pays arabe à avoir enregistré des flux financiers entrés illégalement, soit un taux de 16,2% par rapport au volume total du commerce extérieur du pays, hors produits pétroliers.
Dans ce contexte, la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CESAO) a mené une étude sur les flux financiers illégaux dans le monde arabe.
Cette étude révèle que ces fonds illégaux proviennent du crime organisé qui est difficilement quantifiable, mais la plus grande partie des flux illégaux quantifiables provient du système de manipulation des factures dans le commerce extérieur pour chaque pays.
Efforts de réforme sans résultats
La Tunisie a abrité, les 12 et 13 octobre 2022, une réunion au niveau des experts avec la Turquie pour examiner plusieurs questions liées aux relations commerciales, dont principalement le déséquilibre de la balance commerciale entre les deux pays en faveur de la Turquie, enregistré depuis l’entrée en vigueur de l’accord commercial entre les deux pays, malgré la mise en œuvre de l’article 17 qui prévoit une augmentation des droits de douane sur les produits de consommation d’origine turque (liste 2 en annexe à l’accord).
Cette mesure ne concernait que 20% des importations totales de produits de consommation.
Cette réunion n’a donné aucun résultat. Elle a eu lieu dans le sillage de l’adoption par le gouvernement marocain fin 2020 de l’accord de libre-échange révisé avec la Turquie, où le Maroc et la Turquie ont convenu d’imposer des droits de douane pendant 5 ans sur un certain nombre de produits industriels turcs, atteignant 90% du valeur des tarifs appliqués.
L’accord prévoyait également que la partie marocaine n’appliquerait aucun autre droit sur les importations turques à l’exception de ceux prévus dans l’accord de libre-échange entre les deux pays.
En 2015, l’Égypte a révisé l’accord de libre-échange avec la Turquie en modifiant certains articles liés au passage commercial de marchandises turques dans le pays.
Qu’attend la Tunisie, dont les dirigeants nous rebattent souvent les oreilles par leur volonté de préserver la souveraineté nationale, pour faire de même et préserver ainsi les intérêts de ses citoyens qui payent un lourd tribut aux déséquilibres astronomiques des échanges commerciaux de leur pays avec la Turquie et la Chine ?
D’après Tap.
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