La Tunisie doit sortir de l’inégalité des relations avec l’Union européenne (UE) qui ont trop souvent généré le mal-développement et les déséconomies incitant le pays à renoncer à ses productions traditionnelles garantes de l’autonomie alimentaire du pays au profit d’une économie extravertie au service de l’étranger. Elle doit aussi engager un nouveau partenariat plus solidaire hors de la mentalité néocolonialiste de traite et des accords de dupes.
Par Sémia Zouari *
Suite aux dernières démarches multiples et insistantes de nos partenaires européens pour nous convaincre d’accepter la réadmission de tous les migrants illégaux partis au départ du territoire tunisien, on doit remercier le Président de la République d’avoir mis les points sur les i devant ses interlocuteurs et d’avoir rejeté cet énième accord de dupes.
Nos partenaires européens voudraient nous voir porter toute la charge de l’immigration en provenance du Sud de la Méditerranée alors que notre pays endure depuis douze ans les répercussions de la guerre menée par l’Otan et la France, en toute illégalité, contre la Libye avec tout le chaos qui en a résulté.
La Tunisie a dû accueillir plus de deux millions de réfugiés venus de Libye et leur assurer leurs besoins vitaux pour éviter une catastrophe humanitaire alors que tous les autres pays avaient fermé leurs frontières avec ce pays.
Des accords inacceptables et inapplicables
Aujourd’hui ce sont les effets cumulés de cette crise qui plombent notre pays et l’UE profite de notre crise économique et financière pour vouloir nous imposer des accords de réadmission inacceptables et inapplicables en contrepartie de sommes dérisoires comparativement à ce qui a été généreusement accordé à la Turquie d’Erdogan avec ses chantages à l’immigration.
Il y a d’autres voies de coopération à mettre en œuvre pour promouvoir un véritable partenariat Nord-Sud entre l’UE et la Tunisie avec notamment l’instauration de termes d’échanges plus égalitaires, la valorisation des fuites de cerveaux tunisiens (médecins, ingénieurs et hauts cadres) aujourd’hui sous rémunérés alors que les coopérants européens ont pu bénéficier pendant des décennies de mécanismes compensatoires avantageux aussi bien pour eux que pour leur pays avec les fameuses «contributions forfaitaires de l’Etat tunisien» allant jusqu’à 500DT/ mois/ coopérant.
De même les accords de main d’œuvre saisonnière dans les domaines agricole et touristique notamment doivent être revus et actualisés pour régulariser les flux migratoires saisonniers entre les deux rives de la Méditerranée.
Une insulte à la dignité des Tunisiens
La politique de visas menée par les pays Schengen est également une insulte à la dignité des Tunisiens et elle démontre une volonté politique d’instaurer un rapport de domination et d’entrave à la liberté de circulation des personnes alors qu’il faudrait multiplier la délivrance de visas de circulation de longue durée pour les catégories socioprofessionnelles clairement peu susceptibles d’être candidates à l’immigration illégale: les étudiants, les hommes d’affaires, les universitaires et les congressistes… Ne parlons pas des blocages des régularisations de séjour et des regroupements familiaux même pour les hauts cadres médicaux…
Enfin, la politique de démantèlement tarifaire imposée à la Tunisie via l’accord d’association Tunisie-UE s’est révélée désastreuse et inégalitaire pour la Tunisie puisqu’elle a abouti à une désindustrialisation de notre pays particulièrement dans le secteur textile qui a souffert du démantèlement de l’accord multifibres avec l’invasion des produits asiatiques.
Nous assistons aujourd’hui à un rapport commercial de domination des produits européens engendrant une économie importatrice et une dépendance commerciale pour des produits de base.
Plus encore nous avons subi depuis les années 2000 une régression généralisée des avantages fiscaux qui favorisaient l’investissement étranger en Tunisie tels que l’impôt fictif sur les dividendes avec la remise en cause des Conventions de non double imposition et de garanties des investissements conclues avec les pays européens. Nos partenaires européens ont considéré la Tunisie comme un paradis fiscal en contradiction avec les règles de l’OCDE qui accordent un régime préférentiel au pays le moins industrialisé.
Si l’on évalue la structure des investissements européens en Tunisie, l’on constate que, dans leur grande majorité, ils ont concerné des relocalisations d’industries textiles frappées d’obsolescence à la recherche d’une main d’œuvre frugale et avides de bénéficier des mécanismes divers d’exonération de taxes sociales mis en place pour favoriser l’industrialisation de zones défavorisées.
Les délocalisations de cimenteries en Tunisie ont profité des subventions aux ressources énergétiques accordées par l’Etat tunisien et avaient pour objectif de fuir les taxations aux dégradations environnementales d’industries fortement polluantes à l’amiante. Idem pour les industries chimiques de peinture, celle des pneumatiques ou celle du délavage du denim.
Tous ces exemples attestent de l’inégalité de nos relations avec l’UE qui ont trop souvent généré le mal-développement et les déséconomies incitant le pays à renoncer à ses productions traditionnelles garantes de l’autonomie alimentaire du pays au profit d’une économie extravertie au service de l’étranger.
Ainsi concernant notre huile d’olive, il est inacceptable de continuer à la livrer en vrac, à des prix dérisoires, sur les marchés européens qui accaparent à leur seul profit les plus-values de la mise en bouteille et du conditionnement, en vue de la commercialisation de notre huile sous label européen à raison de 20 euros le litre…
Pour un nouveau partenariat plus solidaire
Ne parlons pas du parcours du combattant pour la récupération des centaines de millions de devises spoliés par la dictature kleptocrate et placés dans les banques occidentales. Ils nous font aujourd’hui si cruellement défaut pour régler la dette odieuse contractée avant la révolution et le fardeau qui a résulté de la décennie islamiste que nos partenaires européens, américains, turcs et qataris voudraient nous imposer comme les représentants du courant démocratique alors que 95% des Tunisiens les rejettent comme des confiscateurs de révolution et des prédateurs obscurantistes et cupides.
Toute une réflexion à faire pour engager un nouveau partenariat plus solidaire hors de la mentalité néocolonialiste de traite et des accords de dupes où nous serions toujours les braves factotum de service appliquant les directives «désintéressées» de nos «partenaires» européens, hélas toujours aussi rapaces et dominateurs….
A bon entendeur….
* Ancienne ambassadrice.
Donnez votre avis