La multiplication des procès contre les journalistes au cours des deux dernières années en Tunisie traduit une grave dérive autoritaire du pouvoir en place et une baisse des indicateurs de la liberté de la presse dans le pays.
Par Hssan Briki
«Je suis journaliste et non criminel… Je suis un citoyen respectueux de la loi et soumis à son autorité. Si j’ai commis une erreur professionnelle, je suis prêt à en assumer la responsabilité. Cependant, la seule loi qui s’applique à moi en ce qui concerne mon travail en tant que journaliste ou mes postes dans lesquels j’exprime mon opinion est le décret -loi n°115 de l’année 2011 relatif aux délits de la presse.»
Cette longue citation est extraite du poste Facebook publié par Zied Elheni, journaliste et ancien président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), samedi 29 juillet 2023. Il y annonce sa comparution ce lundi 31 juillet devant la brigade criminelle de Ben Arous, en tant que «suspect», ajoutant qu’il assumera la responsabilité de toutes ses déclarations et opinions, mais uniquement dans le cadre du décret relatif aux délits de la presse et pas d’autres lois. Et qu’il ne répondra à aucune question en dehors de ce cadre.
Outrage au chef de l’État
Zied Elheni est impliqué dans une affaire en cours depuis qu’il avait été interpellé le soir du mardi 20 juin, quelques heures après avoir expliqué et critiqué un article du code pénal relatif au crime d’outrage au chef de l’État, en l’occurrence le président Kaïs Saïed, dans Emission impossible sur radio IFM. Cet article prévoit une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour quiconque «se rend coupable d’offense au chef de l’État».
Le journaliste avait été entendu et remis en liberté deux jours après son arrestation, mais l’article en question continue d’être critiqué par les juristes, tels que l’universitaire Sana Ben Achour, qui le qualifie d’«antidémocratique».
Bien que les journalistes ne puissent faire l’objet d’aucune pression de n’importe quelle autorité et ne puissent être poursuivis judiciairement que dans le cadre du Décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition, en dehors de Zied Elheni, 17 journalistes en Tunisie sont actuellement poursuivis en justice en dehors du cadre de la loi sur la presse, indique le SNJT.
Recul de la liberté de la presse
La multiplication de ces procès visant les journalistes n’est pas restée sans conséquence. En effet, la Tunisie a dégringolé du 94e rang sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF) en 2022, au 121e rang en 2023, perdant ainsi 27 places en un an.
Le processus engagé en juillet 2021 par le président de la république Kaïs Saïed «fait craindre un recul de la liberté de la presse», estime toutefois RSF dans son rapport annuel. Pour sa part, le SNJT impute cette régression au pouvoir en place et à sa tête le président de la république Kaïs Saïed, qui sont à l’origine de «la baisse des indicateurs de la liberté de la presse, la fréquence élevée des violations contre les journalistes, des procès et des arrestations».
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