On n’a pas attendu la panne générale d’électricité survenue ce matin, mercredi 20 septembre 2023, entre 1h30 et 5 heures 15 pour relever les dysfonctionnements chroniques au sein de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg) qui vieillit très mal et éprouve de grandes difficultés à se mettre à jour.
Par Abderrahman Jerraya *
La Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg) fut naguère une entreprise publique fiable, dynamique, prospère, accompagnant avec célérité le boom du bâtiment sans précédent qu’a connu la Tunisie durant les années 70 et suivantes. Qui plus est, elle n’a pas manqué, si besoin était, de prêter main forte à un gouvernement en manque de liquidités. Mais depuis une dizaine d’années, des signes d’essoufflement commençaient à faire leur apparition. Tout se passe comme si le mastodonte qu’elle est devenue avait des pieds d’argile. En témoignent ses difficultés à s’adapter à une situation où la priorité devrait être la recherche de nouvelles sources d‘énergie pour produire de l’électricité, comme substituts à l’énergie carbonée (pétrole et gaz). Laquelle avait jusqu’ici une place prépondérante sinon exclusive dans la production de l’électricité. D’autant que s’agissant d’une ressource fossile à durée limitée, l’emploi massif et généralisé des hydrocarbures à l’échelle planétaire n’a pas manqué de générer des effets secondaires très préjudiciables à l’environnement, avec notamment l’élévation des températures extrêmes et l’apparition d’une sécheresse récurrente, suivie parfois d’inondations diluviennes enregistrées dans maintes régions de la planète.
Une attitude attentiste
Face à ce changement de cap, en termes de production d’électricité, force est de reconnaître que la Steg a adopté une attitude pour le moins étrange. L’on s’attendait à ce qu’elle prenne le taureau par les cornes et porte à bras le corps un projet visant à promouvoir et à booster la transition énergétique. Lequel projet faisait partie de ses prérogatives et aurait été tout à fait dans ses cordes. Elle s’est plutôt résignée à se tenir une politique de wait and see. Tout se passe comme si la chose ne la concernait pas, sinon la dépassait, eu égard ses moyens tant humains que financiers.
Certes, la société publique a engagé, dans le cadre de la coopération bilatérale, un projet visant à équiper 63.000 foyers en cellules photovoltaïques d’une puissance ne dépassant pas 2kWc. Comme mesures incitatives, elle a prévu une prime de 500 dinars par bénéficiaire et des facilités de paiement étalées sur 7 ans. Où en est son état d’avancement? On en parle très peu !
Mais aussi paradoxalement que cela puisse paraître, la Steg dans un 1er temps n’a pas autorisé ceux qui voulaient, sur leur propre compte, avoir une installation de production électrique au-delà de 2 kWc, au motif semble-il de dépasser la capacité limite du réseau basse tension. Heureusement qu’elle était revenue sur cette mesure inadéquate. Ce qui a eu pour effet d’inciter les auto-producteurs potentiels à investir dans l’énergie solaire avec une capacité de production électrique assez suffisante pour satisfaire leurs besoins toujours grandissants.
Si l’installation de la quincaillerie y afférente ne devait pas poser problème, étant du ressort du secteur privé, il en est autrement de sa mise en marche. Laquelle nécessite l’intervention de la Steg. Là, c’est le parcours du combattant : il faut s’armer de patience et attendre des mois et des mois, voire des années (pour un usage industriel). Certains équipements dont la société détient le monopole ne sont toujours pas disponibles, des visites de contrôle et de suivi tardent à être réalisées.
Des enjeux loin d’être gagnés
Pour être bref, disons que la qualité de l’accueil et des prestations laissaient, parfois, à désirer et que la société n’a manifestement pas les moyens pour accompagner avec ponctualité ses clients si mécontents de voir leur installation à l’arrêt pour une durée indéterminée. Il arrive même que des acquéreurs d’appartements flambant-neuf se voient livrer leur bien non encore habitable, faute de courant électrique. Mais cela est peu de chose par rapport aux projets en instance et qui se présentent comme des défis majeurs.
D’abord, entre autres projets, celui visant l’objectif de 30% des énergies non carbonées par rapport à celles conventionnelles à l’orée de 2030. Ensuite, celui ayant trait à l’exportation de l’électricité d’origine solaire à l’Union européenne (Elmed). Ou encore celui de l’arrivée sur le marché de la voiture électrique. L’on prévoit déjà l’importation de 5.000 unités d’ici 2025. Sans compter le réajustement à consentir pour atténuer le déficit chronique de la balance commerciale énergétique. Lequel s’est creusé de 5% par rapport à l’année 2022, sachant que la part de l’énergie dans la balance commerciale globale est loin d’être négligeable, de l’ordre de 60%.
Autant d’enjeux que la Steg est appelée à gagner haut la main. Pour s’engager dans ce gigantesque chantier, elle doit retrouver une santé financière en récupérant les créances qui lui sont dues et en recourant si besoin est à l’emprunt auprès de bailleurs de fonds tant nationaux que internationaux. Pour faire en sorte qu’elle soit en mesure de traiter d’égal à égal avec l’éventuel partenaire étranger, dans une relation de réciprocité gagnant-gagnant. Car contrairement aux hydrocarbures, l’exploitation proprement dite de l’énergie solaire comporte moins de risques financiers, moins d’aléas techniques. Sans parler aussi du fait qu’elle est à la portée de la Tunisie, dans la mesure où elle dispose suffisamment de compétences avérées.
Concernant en particulier la consommation locale d’électricité, un moyen de réduire l’écart entre l’offre et la demande est de mettre à contribution les utilisateurs d’électricité à usage domestique. Ils seraient intéressés d’investir massivement si la Steg modifiait la façon de calculer la quantité d’énergie consommée. Jusqu’à présent, les auto-producteurs signaient un contrat aux termes duquel la Steg reprenait l’excédent, s’il y en avait, de l’électricité fournie, pour en tenir compte lors de la prochaine facturation. Quant au gaz utilisé, il était facturé comme d’habitude selon le volume enregistré. Or le gaz est de l’énergie! Il est, entre autres, utilisé par la Steg pour produire de l’électricité. Il suffit au niveau de chaque foyer équipé d’une installation solaire de convertir le volume de gaz consommé en son équivalent en kWc. D’ailleurs, le contrat, dans son article 11 relatif aux modalités de facturation, n’utilise que le terme énergie. Il est proposé ici que ce dernier couvre désormais à la fois électricité et gaz. Ce faisant, on n’a pas besoin de changer les textes en vigueur. Les auto-producteurs potentiels ne tarderont pas à percevoir là une opportunité très intéressante à saisir et par là-même à se manifester massivement.
L’investissement dans la production de l’énergie propre serait non seulement conséquent mais aussi porteur. Quant à la Steg, elle aurait fait une économie substantielle en gaz, soulageant par là-même la Caisse nationale de compensation, sans parler de ses retombées sur le marché de l’emploi.
En conclusion, on prévoit dans les années à venir une demande accrue en électricité, prenant une allure exponentielle. La solution n’est certainement pas dans la construction de nouvelles centrales de production fonctionnant au pétrole ou au gaz avec les effets collatéraux qu’on connait. Mais plutôt dans le recours à l’énergie solaire qui peut être une alternative aussi judicieuse qu’intéressante, la Tunisie étant considérée comme l’une des régions les plus indiquées pour ce faire.
Il est proposé à la Steg dont les moyens sont actuellement limités de mettre à contribution gros et petits épargnants potentiels à investir dans l’énergie solaire à usage domestique. Ce qui permet d’une part d’éviter à court terme les coupures du courant lors des pics d’utilisation. Et d’autre part aux concernés de trouver leur compte, s’agissant d’une opération rentable.
* Universitaire.
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