L’équipe nationale de Tunisie de football est sur le point de se mesurer avec deux représentantes asiatiques. Pas n’importe lesquelles puisqu’il s’agira d’affronter la Corée du Sud. Puis défier le Japon. L’occasion de confirmer et de boucler un cycle 2022-2023 vraiment positivement avant de se lancer dans l’aventure de la CAN ?
Par Jean-Guillaume Lozato *
La Tunisie a gagné ses deux précédents matchs avec sérieux, application, avec quelques séquences de jeu intéressantes malgré des détails à améliorer. Les plus sceptiques s’appuieront entre autres arguments sur deux faits de jeu similaires qui se sont produits au cours des deux derniers matchs : l’obtention d’un but sur une erreur adverse grossière, c’est-à-dire marquer contre son camp, la hantise des défenseurs. Alors, jamais deux sans trois ?
Profiter des erreurs de l’adversaire
La Tunisie pousserait-elle ses adversaires vers l’erreur, en raison du stress qu’elle inspirerait ? C’est la question que l’on est en droit de se poser en l’état actuel des choses.
Puissance ré-émergente de sa zone de qualification, l’équipe nationale au maillot rouge et blanc en a fait voir de toutes les couleurs à plusieurs homologues depuis la Coupe du Monde. Du marathon au sprint. De la patience façon arts martiaux à la réactivité affirmée comme boxe. Sur le ring du ballon rond mondial sont tombées récemment une équipe subsaharienne (le Botswana battu 3-0) puis une équipe d’Afrique du Nord (l’Égypte défaite 3-1). Dans ces deux cas de figure, un but en faveur du Pays du Jasmin a été inscrit contre son camp par l’adversaire. Un fait qui n’est jamais considéré comme une prouesse, qu’il soit interprété comme l’œuvre d’un membre du groupe adverse ou comme la conséquence de la pression exercée par l’équipe qui en bénéficie. Et pourtant…
L’«autogol» se produit peu. Mais il compte pour la statistique en tant que fait de jeu. Il se produit peut-être plus fréquemment qu’avant. Deux raisons, donc, pour accepter sa prise en compte.
Tout franchissement de la ligne de but effectué entièrement par la sphère de cuir si convoitées par les vingt-deux acteurs vaut un but. Quel que soit le protagoniste l’ayant dirigée intentionnellement ou malencontreusement. Ce rappel des plus élémentaires est nécessaire au vu des expressions dubitatives entourant les derniers scores réalisés par les Aigles de Carthage qui n’ont fait que bénéficier de l’application du règlement prodigué par le corps arbitral.
Cette forme d’issue, débouchant directement sur le résultat d’une partie, se produit un peu plus que par le passé. Surtout depuis l’avènement de l’interdiction de la passe en retrait au gardien dans la surface de réparation. De plus nous sommes dans une période où les scores prolifiques se sont démocratisés, y compris dans une compétition aux défenses réputées aussi dures que dans le championnat italien. Au hasard, référons-nous au 3-3 de la finale Qatar 2022, entre France et Argentine. Puis deux victoires sur le score identique de 7-0 dans leur championnat respectivement en faveur du Bayern de Munich et de l’A.S Roma au mois de septembre.
Le but contre son propre camp peut remettre en question les qualités techniques générales du football moderne, du joueur de champ au gardien de but. Cela ne minimise donc en rien les performances tunisiennes si l’on prend en considération que pousser l’adversaire à l’erreur est une faculté de domination, un peu à l’image de l’avant-centre poussant le défenseur chargé de son marquage à la faute. D’autant plus qu’y compris dans la prestigieuse Ligue des Champions le milieu offensif Zielinski a pu faire triompher «son» Napoli à Braga en faisant dévier la balle dans ses propres filets par l’international malien Niakaté dont le pays participera justement à la prochaine édition de la CAN.
Apprendre à bien se préparer
La Tunisie doit apprendre à jouer d’égal à égal depuis qu’elle a procédé à la ré-acquisition du statut qui était le sien. C’est-à-dire avec clairvoyance et humilité envers les équipes pas forcément cotées ou les moins impressionnantes. C’est-à-dire avec détermination et réalisme contre les formations les plus fortes.
Les deux prochaines oppositions seront utiles quant à la diversification de contexte et de style de jeu. Sur tous les plans: technique, tactique, physique, mental.
Techniquement, les hommes dirigés par Jalel Kadri sont d’habiles manieurs de balle. Ils devront mettre à l’épreuve la compatibilité de l’esthétique des gestes techniques, au service de la circulation ou gestion de balle, avec la rapidité adverse contre le Japon. Contre la Corée, la technique sans ballon et les actions pour dé-zoner ou se placer dos au but serait davantage à prioriser. Cela nous ouvre le débat sur l’occupation du terrain.
Sur le plan tactique, ce sera l’occasion de voir si casser les lignes adverses ou se faire bousculer les siennes sera la ligne de conduite des compagnons de Youssef Msakni. Ne pas se contenter de l’immobilisme au nom de la vigilance et travailler la relance au sol comme aérienne.
La Tunisie a prouvé il y a peu ses facultés d’évoluer en passant du 4-5-1 au 3-4-3.Un avantage pour jouer de manière oblique dans le triangle inversé de l’entrejeu japonais ou bien pour gérer les ballons aériens devant les Coréens. Aissa Laidouni et Yassine Meriah seront de précieux atouts pour chercher à les contrer.
Physiquement, il est évident que les Tunisiens présentent des carrures plus impressionnantes si l’on fait une moyenne.
Toutefois, attention à la souplesse et à l’explosivité potentielles des adversaires extrême-orientaux, caractéristiques héritées des qualités intrinsèques et d’une culture imprégnée de la pratique des arts martiaux. Attention à Hwang Wee Jo et Son, dans cette optique, côté coréen, devant lesquels il serait très risqué de pratiquer le 4-3-3 où ils dévorent les espaces.
Pour ce qui est des Japonais, les Tunisiens devront se méfier impérativement des grandes courses du petit Takefusa Kubo (ailier gauche ou faux-ailier qui use ses adversaires directs en championnat espagnol) plus encore que de Ito.
Comme un cheveu sur la soupe
Du point de vue du mental, ces matches serviront à compléter la préparation psychologique et la concentration pour des échéances longues ou rapprochées. Se mesurer à deux équipes venues d’Extrême-Orient représente un challenge intéressant pour forger les contours d’un effectif et ceux d’un schéma de jeu établi par Kadri.
Concernant ce dernier, être natif de Tozeur est une originalité qui peut se convertir en avantage quant à la gestion des efforts et au renforcement de la cohésion du collectif sur et en dehors du grand rectangle vert.
Les deux oppositions imminentes viseront au perfectionnement ou non.
Innovations ? Remises en questions ? Avant janvier et le voyage en Côte-d’Ivoire pour la phase finale continentale, le sélectionneur voit se présenter à lui un chantier non pas à construire mais dont il faut consolider les fondations tout en analysant des éventualités.
Reprendre un groupe bâti originellement dans le cadre du projet de participation au Mondial 2022 s’inscrit dans une logique de capitalisation des résultats et des efforts.
Toutefois cet ensemble a été amputé de la présence du leader Wahbi Khazri depuis début 2023. Conserver les acquis et voir dans un second temps comment progresser correspondrait à la philosophie actuelle. Une innovation trop rapide serait trop dangereuse.
Dans le sillage de Hannibal
Pour ce qui est du terrain proprement dit, un point de fixation comme Hannibal Mejri rapproche d’une idée intéressante à développer. Son talent est incontestable, son apport aussi comme nous avons pu le voir avec son but marqué depuis le milieu du terrain en Premier League.
Cependant, il fait preuve d’inconstance. Cette imprévisibilité est une arme pour celui qui peut à la fois animer, ratisser, créer. N’oublions pas que ces deux dernières décennies ont vu les affirmations de meneurs de jeu à l’image de Pirlo puis Pogba, partant de très bas en certaines occasions et s’inscrivant dans une fonction de moitié numéro 10 moitié milieu relayeurs. Le traditionnel numéro 8 est une synthèse des potentialités du encore jeune Mejbri, dans le sens où il peut se positionner en sentinelle numéro 6 comme à l’avant du milieu de terrain. Avec son imposante chevelure au vent rappelant que les excentricités capillaires ont réussi par le passé à des champions comme Fellaini, Valderrama, Higuita, Gullit, en football, ou comme André Agassi en tennis. Sans compter un dernier exemple: l’ancien milieu offensif coréen Kim Ju Sung qui se définissait comme un «nouveau Sanson».
Cette polyvalence du jeune tunisien pourra tout à fait renforcer l’utilisation d’un schéma tactique fluctuant faisant passer du jeu à plat à celui en losange au sein du milieu de terrain de son équipe.
Terminer cette année 2023 avec de bons résultats en matchs amicaux conclurait un cycle encourageant et intéressant pour le pays le moins peuplé du Maghreb central. La présence du Maroc et de l’Algérie sera instructive. D’autant plus que le premier nommé organisera la CAN 2025.
Vu l’âge moyen de l’équipe nationale tunisienne, une capitalisation intéressante est à entrevoir. La CAN organisée sur le sol ivoirien puis celle en terre marocaine serviront d’assise continentale. Jusqu’à la Coupe du Monde 2006 puisque le temps passe tellement vite lorsque l’on recommence à goûter à la vie dans la Cour des Grands.
En attendant, le pays du matin calme et le pays du soleil levant offrent des étapes pour tester la valeur et les réglages d’une équipe nationale de Tunisie rêvant inconsciemment d’atteindre un jour le zénith, en comparaison avec ses homologues algérienne et marocaine.
* Universitaire et analyste de football.
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