Le tableau que le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, brosse de la situation financière de la Tunisie est presque réconfortant, contrairement à ce que pensent la plupart des experts et des analystes.
Par Imed Bahri
La visite d’une délégation du Fonds monétaire international (FMI) en Tunisie du 5 au 17 décembre 2023 est un signal «positif» qui témoigne d’une reconnexion entre les deux parties, a déclaré Abassi dans une interview accordée à l’agence Tap, samedi 14 octobre 2023, en marge des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale tenues à Marrakech (Maroc) du 9 au 15 octobre, soulignant que cette visite s’effectuerait dans le cadre de l’article IV des statuts du FMI, relatif examiner les performances de l’économie tunisienne et publier un rapport à cet effet.
Tout en feignant d’oublier les déclarations très critiques des responsables tunisiens, et à leur tête le président de la république Kaïs Saïed, à l’égard du prêteur international, Abassi a rappelé que la révision basée sur l’article IV est effectuée par tous les pays membres du FMI, y compris les économies fortes comme les Etats-Unis d’Amérique, et la Tunisie ne fait pas exception, d’autant plus «que nous ne l’avons pas fait depuis deux ans», a-t-il cru devoir préciser, sans ressentir le besoin d’expliquer le pourquoi de ce «report».
Les réformes sont déjà mis en route
On sait cependant que l’accord au niveau des experts pour un prêt de 1,9 milliard de dollars a été obtenu depuis octobre 2022 et que, depuis cette date, le CA d’administration du FMI n’a pas cru devoir donner son accord final, en raison du refus de la Tunisie de mettre en route les réformes pour lesquelles elle s’était elle-même engagée dans son programme.
Le haut responsable de la BCT, qui assistait aux réunions de Marrakech en qualité de gouverneur tunisien du Fonds, a pourtant souligné que les réformes discutées avec l’institution financière internationale ont été inscrites et appliquées dans la loi de finances 2023. Ce qui est à peine croyable, puisque le président Saïed a souvent exprimé, au cours des douze derniers mois, son rejet catégorique de ces réformes, notamment celle relative à la levée de certaines subventions étatiques. Mais qui doit-on croire ?
Parmi les réformes en question, M. Abassi a évité de parler des plus importantes et qui posent encore problème à l’Etat tunisien. Il juste a évoqué l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée pour les professions libérales, notant que cette réforme ont permis d’atteindre la rentabilité au niveau de la perception des impôts. Tant mieux, ou peut-être tant pis, puisque ce sont toujours les contribuables qui doivent couvrir les gaspillages d’un Etat budgétivore et pas toujours efficace !
Abassi a cependant cherché à justifier indirectement le refus de la Tunisie de mener certaines réformes en évoquant la hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires provoquée par la guerre russo-ukrainienne au niveau du marché mondial.
Il a aussi souligné la réduction du déficit de la balance des paiements entre octobre 2022 et octobre 2023, passant de 8,6% fin 2022 à 2,1 % actuellement. Ce déficit ne dépassera pas 4 % d’ici fin 2023, «un chiffre que le pays n’a pas pu atteindre depuis des années», a-t-il souligné.
«Si nous excluons le déficit de la balance énergétique, nous passerons d’un déficit à un excédent de la balance des paiements. Si nous travaillons plus dur sur la transition énergétique et rétablissons l’ancienne production et exportation de phosphate, il sera possible de surmonter ce déficit», a déclaré Abassi. Mais avec des «si» qu’est-ce qu’on ne pourrait pas faire, monsieur le gouverneur ?
La Tunisie a pu réduire son déficit grâce à l’amélioration des exportations dans les secteurs du textile-habillement, de l’industrie mécanique et de l’huile d’olive… en plus de l’amélioration des performances du secteur des services, dont le plus important est le tourisme et les envois de fonds des Tunisiens à l’étranger.
Selon Abassi, le pays a également payé diverses factures liées à ses achats et à ses dettes et, selon lui, est également en mesure de payer la plus grosse échéance fin octobre 2023, estimée à plus de 500 millions d’euros.
Le gouverneur de la BCT a ainsi rappelé ce que disait récemment la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, selon laquelle la Tunisie n’était pas au point de restructurer sa dette.
Abassi a indiqué que la Tunisie a réussi à contenir et à réduire l’inflation, même si celle-ci se situe encore à un niveau élevé, de l’ordre de 9,3%, notant qu’à un moment donné au cours de l’année, elle a atteint le niveau de 11,3%. Il a ajouté que la performance de la Tunisie à ce niveau était meilleure que celle d’un certain nombre d’autres pays (comme eux de l’Union européenne), ce qui a provoqué cette inflation importée.
Qui doit faire les réformes et en assumer la responsabilité ?
Le gouverneur a prévu une nouvelle baisse du taux d’inflation en Tunisie à la fin de l’année 2023, malgré l’augmentation du nombre de touristes cette saison (demande accrue face à une offre insuffisante) et la baisse des performances agricoles due à la vague de sécheresse.
Il a également souligné que «la disponibilité de réserves de change, actuellement équivalentes à 120 jours d’importations, est un bon indicateur dans les circonstances actuelles».
«Tous ces indicateurs positifs démontrent la capacité de la Tunisie à faire face à une situation économique difficile», a-t-il souligné, laissant entendre que la Tunisie répond (ou presque) aux exigences de bonne gouvernance financière du FMI. Ce dont il conviendrait de convaincre, non pas les lecteurs de l’agence Tap, mais les responsables de l’institution prêteuse.
Reconnaissant, toujours à demi mot, la crise actuelle de l’économie tunisienne et sa très faible croissance, en s’en lavant un peu lui-même les mains, Abassi a cru devoir souligner la nécessité de revenir à un rythme d’investissement et à un niveau d’exportation plus élevés, tout en stimulant la consommation intérieure, notamment celle des produits locaux.
«Il faut mener des réformes (qui sont indispensables) pour restaurer le taux de croissance et permettre à la Tunisie de bâtir une économie inclusive et durable qui prend en compte le changement climatique, avec l’accord ou non du FMI», a averti le gouverneur, en rappelant qu’avant la «Révolution du 17 décembre 2010 / 14 janvier 2011» (sic !), la Tunisie avait de bons taux de croissance et des indicateurs économiques importants, et pourtant la révolution a eu lieu parce que l’économie du pays n’intégrait pas tous les groupes et entités. «Elle doit donc mettre en œuvre des réformes socialement acceptables et maintenir sa capacité à résister aux différents chocs», a-t-il conclu.
Mais à qui M. Abassi devrait-il dire cela, et qui est censé mettre en route ces politiques volontaristes de relance de la croissance et de la consommation qu’il préconise? N’est-ce pas le gouvernement auquel il appartient lui aussi, d’une certaine façon, même si, dans toutes ses déclarations, il essaie de nous faire croire qu’il a fait, lui, «sa» part du boulot et que ce sont ses collègues de la Kasbah qui ne font pas assez le leur.
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