«Depuis l’adoption du Startup Act en 2018, tout un écosystème est né autour de l’ambition de transformer la Tunisie en hub technologique régional. Un dispositif complet et cohérent est mis en place, depuis la labellisation jusqu’au financement, avec des mécanismes adaptés et opérationnels. Aujourd’hui, il faut juste accélérer la marche et lever quelques obstacles pour que le rêve devienne réalité». (Ph. Alaya Bettaieb et Zied Ben Othman)
Tel est le constat d’Alaya Bettaieb, directeur général de Smart Capital, l’entité en charge de l’implémentation du programme national Startup Tunisia, et Zied Ben Othman, directeur du fonds de fonds Anava. Les deux responsables chargés de faire décoller l’initiative Startup Tunisia, fait dans une interview avec l’agence Tap, à propos de ce parcours qui n’a pas été aisé mais où la ténacité a fini par payer.
952 startups labellisées, 60 incubateurs accélérateurs
«Avec, à ce jour, 952 startups labellisées sur un objectif de 1000 startups d’ici 2024, 60 incubateurs accélérateurs et 90 coworking spaces créés, le fonds de fonds Anava, d’une taille cible de 100 millions d’euros, structuré et qui a déjà approuvé sa participation dans 6 fonds sous-jacents (sur un objectif de 13) et deux acquisitions historiques en 2023, de Instadeep et Expensya, nous pouvons affirmer qu’un nouvel écosystème est en train de voir le jour pour une nouvelle économie et qu’un nouveau ‘‘mindset’’ (état d’esprit) est en train de naître pour une nouvelle génération d’entrepreneurs bâtisseurs. Il va falloir juste huiler la machine», a souligné Bettaieb. Il a aussi rappelé que «le programme Startup Tunisia était à la base l’idée de jeunes entrepreneurs, qui a été parrainée par le gouvernement en 2016. L’idée a progressé et a abouti, en 2018, à la promulgation de la loi Startup Act, amorçant une nouvelle dynamique dans le pays et constituant le premier des 3 piliers de l’initiative Startup Tunisia (Startup Act, Startup Invest et Startup Ecosystem). En avril 2019, le processus de labellisation des Startups a été installé par Smart Capital, pour lancer des sessions mensuelles livrant en moyenne une vingtaine de labels par mois, à des Startups innovantes et scalables».
«2020 a été l’année de l’achèvement de la structuration du fonds de fonds Anava et de la composante Ecosystem du projet Startup Tunisia. 2021, a vu le lancement effectif du fonds de fonds Anava, premier du genre libellé en euros qui vise à booster l’écosystème du capital risque en Tunisie, à travers la création de 13 fonds sous-jacents à l’horizon 2024 pour répondre aux besoins d’investissement des startups dans leurs phases d’amorçage, de croissance et d’expansion internationale», a ajouté le spécialiste en entrepreneuriat technologue.
«Comme pour tout nouveau projet nécessitant de nouveaux mécanismes, la collaboration avec l’administration a pris plus de temps que prévu. Pour avancer, il y a nécessité de trouver des solutions, même temporaires, pour résoudre certaines questions juridiques complexes, dont celles relatives à la réglementation des changes. Ceci nous a contraint à prolonger la phase de mise en œuvre opérationnelle du fonds de fonds, de la création des fonds sous-jacents, et du déblocage des fonds destinés aux startups surtout celles résidentes», a-t-il encore expliqué.
Ambiguïtés juridiques et solutions temporaires
Sur ce point, le premier responsable d’Anava, Zied Ben Othman, a précisé que «sur les 13 fonds sous-jacents programmés, 7 seront dédiés à la phase d’amorçage des startups, 4 à celle de croissance et 2 à celle d’expansion».
«Anava a pu souscrire, au cours du 1er semestre de 2022, à deux fonds sous-jacents : 216 Capital Fund I et Badia Impact Squared. La même année, nous avons approuvé 3 autres fonds non encore opérationnels. En octobre 2023, le fonds de fonds a effectué une 3e souscription de 5 millions d’euros dans un troisième fonds Titan Seed Fund I pour soutenir les startups dans le secteur de la Deep Tech en Tunisie. Ce qui donne au total, 6 fonds approuvés, dont 3 opérationnels, 30 millions d’euros engagés et environ 15 millions investis. Trois autres fonds passeront bientôt devant le comité d’investissement. A ce rythme là, je pense que nous assumons bel et bien notre mission et nous approchons de notre objectif», a expliqué Ben Othman. Et d’ajouter : «L’objectif ultime de la levée de fonds par des fonds sous-jacents est d’orienter le financement vers les bénéficiaires finaux, les start-ups. Mais cette orientation du financement ne se fait pas au rythme voulu par notre fonds, elle est loin des attentes des startups en phase d’amorçage dont le nombre de celles labellisées frôle aujourd’hui les 1000 startups. La loi exige des autorisations quand il s’agit d’investissements en devises de fonds résidents dans des startups résidentes. Une solution temporaire a été mise en place grâce à une autorisation préalable de la Banque centrale de Tunisie pour permettre ces opérations en monnaie étrangère. Cependant, une révision du Code des changes est nécessaire pour systématiser ces autorisations quitte à les supprimer pour les startups labellisées pour commencer».
L’autre obstacle signalé concerne l’ambiguïté juridique entourant l’avantage de dégrèvement fiscal au profit des fonds d’investissement spécialisés (FIS). «En effet, la Loi n° 2018-20 du 17 avril 2018, relative aux startups, a instauré, dans son article 13, un dégrèvement fiscal sur les revenus ou les bénéfices réinvestis dans la souscription au capital initial des startups ou à son augmentation, ainsi que sur les revenus ou les bénéfices réinvestis dans la souscription au capital des sociétés d’investissement à capital risque, ou placés auprès d’elles sous forme de fonds à capital risque, de fonds collectifs de placement à risque, de fonds d’amorçage, ou de toutes autres sociétés d’investissement. Sauf que dans cette loi, il n’y avait pas de mention claire au sujet des fonds d’investissement spécialisés, qui constituent un nouvel instrument qui n’a fait son apparition en Tunisie qu’en 2019, avec la loi transversale n°47 de 2019 du 29 mai 2019 sur l’amélioration du climat des investissements», a encore expliqué Ben Othman. Et de préciser : «A cet égard, nous avons demandé au ministère des Finances de réviser l’article 13 de la Loi n° 2018-20, relative aux startups, en vue de confirmer l’avantage fiscal au profit des FIS. Cette confirmation faciliterait beaucoup la levée de fonds à l’échelle locale».
Malgré ces difficultés, les promoteurs de l’écosystème ont composé avec l’existant, trouvé des solutions temporaires, lancé des fonds, approuvé d’autres, communiqué sur l’ambition du pays de se positionner sur le créneau de la technologie et des startups et réussi à attirer une cinquantaine de startups étrangères en Tunisie, ce qui est un exploit en soi. Ainsi, en 2019, partis de presque rien, ils sont en train d’accélérer aujourd’hui le déploiement des fonds déjà créés.
Par ailleurs, ils sont sollicités par des fonds régionaux panafricains. Si l’administration est suffisamment consciente de cette opportunité, elle pourrait, moyennant des mesures simples, les convaincre de domicilier leur fonds en Tunisie, pour que le rêve de transformer le pays en place financière régionale devienne réalité, espèrent-ils.
Vers des horizons plus grands
A la question de savoir si l’écosystème national des startups est suffisamment favorable pour qu’une jeune pousse puisse grandir, sans être contrainte à quitter le pays, surtout après l’acquisition des startups tunisiennes Expensya (spécialisée dans l’automatisation du processus de gestion des dépenses des entreprises) et InstaDeep (spécialisée en intelligence artificielle), par des groupes mondiaux, respectivement Medius et BioNTech, le DG de Smart Capital s’est montré plutôt optimiste : «Nous voyons souvent des startups de toutes les nationalités s’installer à New York ou à Silicon Valley. Il ne faut pas s’inquiéter quand nos startups quittent vers des horizons plus grands. Au contraire, c’est ce qu’il y a de meilleur pour leur avenir, d’autant plus que ces dernières gardent souvent des antennes en Tunisie», explique Ben Othman, en rappelant qu’Anava conditionne ses investissements dans des fonds régionaux, qui investissent dans des startups tunisiennes voulant ouvrir des filiales à l’international, à l’exigence d’avoir 50% de l’effectif total de la startup basés en Tunisie.
«La Tunisie est en effet un petit marché, qui n’offre pas de grandes opportunités en termes de financement en devises et ni assez de flexibilité pour recruter des talents internationaux et dont le cadre légal et administratif présente encore certaines contraintes. Les startups d’une certaine taille choisissent ainsi, de basculer vers l’international pour pouvoir évoluer», insiste Ben Othman, dont la mission, selon ses dires, est de mettre en contact les startups locales avec des partenaires internationaux de manière à leur donner l’opportunité de grandir, en Tunisie ou ailleurs.
D’après Tap.
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