La politique américaine (et israélienne) aurait toujours besoin d’ennemis à l’ombre desquels elle ferait fructifier ses intérêts, et au besoin, elle en créerait. L’exemple du Cuba de l’«ami» infidèle Fidel Castro est édifiant à cet égard. De même que celui de l’émergence de l’islam en tant qu’ennemi absolu… après avoir été l’allié fidèle contre le communisme, répondrait-il à ce schéma de la stratégie de la tension permanente.
Par Dr Mounir Hanablia *
En Octobre 1962, le 14 plus exactement, les avions espions américains U2 volant à très haute altitude au-dessus de Cuba découvraient des rampes de lancement de missiles nucléaires en cours de construction ainsi que des hangars pour bombardiers stratégiques. C’est ainsi que s’ouvrait la crise qui allait mener le monde au bord de la guerre nucléaire.
Le Président Kennedy décidait en effet quelques jours plus tard d’établir un blocus autour de l’île et d’inspecter tous les bateaux s’y rendant afin d’empêcher le déploiement des missiles nucléaires, Cuba étant située à seulement 150 kilomètres des côtes américaines. Durant trois jours, alors que les bateaux russes chargés d’équipement militaire approchaient lentement, et que la marine américaine était déployée pour les intercepter, la guerre entre les deux superpuissances paraissait inévitable. Finalement, Khrouchtchev, l’homme fort de l’Union Soviétique, cédait et ordonnait aux navires russes de rebrousser chemin.
Les Soviétiques avaient nié au début le caractère offensif de l’armement livré aux Cubains. Malgré la promesse américaine de retirer des missiles (obsolètes) de Turquie, cette reculade coûterait sa place au secrétaire général du Parti communiste soviétique deux années plus tard et constituerait une pomme de discorde supplémentaire dans l’affrontement idéologique entre Moscou et Pékin pour le leadership du mouvement communiste mondial.
Il est vrai que depuis l’accession de Fidel Castro au pouvoir deux années auparavant, après le départ du dictateur Batista, les relations américano-cubaines s’étaient considérablement détériorées avec la nationalisation des avoirs américains, considérables sur l’île.
Le désastre de la Baie des Cochons
L’entraînement des réfugiés cubains, dont quelques-uns étaient d’anciens compagnons de Castro passés à l’opposition, avait débuté en Floride et au Guatemala, sous l’égide de la CIA, et lorsque Kennedy avait décidé de les envoyer renverser le régime de Castro, ils étaient prêts. Mais les quelque deux mille hommes débarqués à la Baie des Cochons s’étaient retrouvés rapidement encerclés par l’armée cubaine qui avait anticipé l’opération, et le Président Kennedy avait refusé d’envoyer l’armée américaine pour les appuyer. On ignore encore pourquoi il avait accepté d’entreprendre cette opération à la suite de laquelle près de 1100 guérilleros avaient été capturés, et lorsqu’il serait assassiné deux années plus tard, les soupçons se porteraient inévitablement sur leurs proches, avides de vengeance après ce qu’ils qualifieraient de trahison.
Quoiqu’il en soit, Castro avait bien des raisons de se méfier des Américains et de chercher à protéger son régime, alors que l’armée américaine occupait la base militaire de Guantanamo, sur l’île même. Pourtant, au départ, il n’avait pas été communiste, mais il estimait que son pays avait été spolié et qu’il était de son droit d’y mettre fin en lui restituant ses richesses, par les nationalisations. Mais Cuba tirant l’essentiel de ses ressources de la vente du sucre et du tabac, les Américains, les principaux clients, avaient exercé sur lui un chantage économique, et les Soviétiques avaient accepté d’en garantir l’achat d’au moins une partie des récoltes, à des prix préférentiels. Il reste que leur décision d’installer des missiles nucléaires sur l’île revenait à l’intégrer de facto dans le dispositif du Pacte de Varsovie. Sans doute avaient-ils interprété d’une manière erronée la décision américaine de ne pas envahir l’île lors du désastre de la Baie des Cochons, comme un abandon de la doctrine de Monroe, interdisant toute intervention militaire à un quelconque pays extérieur dans les affaires du continent.
Néanmoins si les Soviétiques furent obligés de retirer leurs troupes et leur armement de Cuba c’est finalement Castro qui sortit vainqueur de la crise avec la garantie de ne pas être envahi, et la latitude qui lui fut accordée d’envoyer son armée soutenir partout la révolution mondiale là où les Soviétiques ne voulaient pas ou ne pouvaient pas s’engager, au Congo, en Guinée, en Angola, au Mozambique, en Bolivie, et au Nicaragua.
Les Américains demeurèrent inébranlables quant au maintien de l’embargo mais le dictateur cubain demeura au pouvoir pendant 49 ans, et survécut même à la chute de l’Union Soviétique. Néanmoins leur politique est demeurée une fois encore nimbée de brouillard. Alors que Batista, leur homme, est demeuré à la tête de son pays pendant 28 ans, ce sont eux qui à la fin le lâchèrent, précipitant sa chute et favorisant ainsi la victoire finale de Castro. Dans quelle mesure ce dernier ne fut pas leur solution de rechange? Il demeure légitime de s’en poser la question; déjà en 1953 Batista l’avait gracié après une insurrection dans la ville de Santiago, et lui avait permis de quitter l’île. Quatre années plus tard c’est à partir du Mexique, un pays étroitement contrôlé par les Américains, qu’il partirait à la conquête de l’île en renversant celui qui l’avait gracié.
La stratégie de la tension permanente
On ne peut pas penser à quelque similitude avec ce qui se passerait en Iran en 1979. Dans les deux cas l’Amérique abandonnerait un pouvoir ami et favoriserait une alternative qui se révèlerait hostile à leurs intérêts. Mais à y regarder de près, pourquoi ne pas se dire que l’implantation de régimes hostiles favorise ses intérêts en lui donnant un prétexte d’intervention dans les affaires des pays considérés comme amis afin de les protéger? Le régime castriste a ainsi constitué la justification de l’implantation par les Etats-Unis des juntes militaires fascistes en Amérique du Sud entre les années 60 et 80. On peut expliquer ainsi l’immunité dont ce régime a bénéficié. Celui des mollahs a abouti à l’installation de bases militaires américaines dans le Golfe, en Syrie et en Irak, à la guerre Sunnites-Chiites, et surtout, à la normalisation des relations entre Israël et un bon nombre de régimes arabes ou musulmans.
Ainsi la politique américaine (et israélienne) aurait toujours besoin d’ennemis à l’ombre desquels elle ferait fructifier ses intérêts, et au besoin, elle en créerait. L’émergence de l’islam en tant qu’ennemi absolu après avoir été l’allié fidèle contre le communisme, répondrait ainsi à ce schéma de la stratégie de la tension.
* Médecin de libre pratique.
‘‘Crises À Cuba’’ de Claude Delmas, éditions S.P.R.L, 1er janvier 1983, 217 pages.
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