Le 20 septembre dernier sur Fox News, le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman déclarait que «son pays et Israël se rapprochaient chaque jour d’un accord de normalisation des relations» et puis vint le 7 octobre et a torpillé ces négociations. Quelques jours auparavant, le 1er octobre, le journal israélien Haaretz publiait un article qui a levé le voile sur les relations secrète entre l’Arabie saoudite et Israël. Des relations très anciennes, au plus haut niveau et bien ancrées.
Par Imed Bahri
Le journal israélien Haaretz a publié un rapport basé sur des déclarations et des écrits d’’historiens, de chercheurs et d’anciens responsables, dans lequel il passe en revue les «relations secrètes» entre Israéliens et Saoudiens à travers l’histoire, avant même la fondation des deux États, jusqu’aux négociations en cours concernant la possibilité d’établir des relations officielles.
Le journal affirme qu’un accord pour établir des relations sera obtenu non seulement grâce aux efforts du Premier ministre Benjamin Netanyahu, mais aussi grâce à «un siècle de relations secrètes allant de l’échange d’informations de renseignement à des initiatives de paix secrètes».
Un siècle de relations secrètes
Le rapport fait référence à Eliyahu Epstein, qui était en 1937 un responsable de l’Agence juive et qui rencontra à Beyrouth Fouad Hamzah, directeur général du ministère saoudien des Affaires étrangères. La réunion a ouvert la voie à une rencontre entre Hamza et David Ben Gourion, chef de l’Agence juive, qui est devenu le Premier ministre d’Israël.
Le professeur Yehoshua Porath de l’Université hébraïque a déclaré que «lors de la réunion, Ben Gourion a analysé la question de la Terre d’Israël affirmant qu’elle est entourée de pays arabes, tandis que pour Hamza, la Terre d’Israël est une question qui aurait dû être discuté du point de vue des Arabes de la Terre d’Israël.»
«Même si les positions des deux parties étaient très éloignées, les pourparlers ont aidé chaque partie à connaître les points de vue et les intérêts de l’autre», a écrit Elie Podeh, professeur d’études islamiques et du Moyen-Orient à l’Université hébraïque, dans son livre ‘‘Saudi Arabia and Israel: From Secret to Public Engagement’’. Au cours de ces années, des efforts ont été déployés pour créer une fédération arabe qui inclurait «la Terre d’Israël» comme composante juive. Parmi les propositions figurait la nomination du roi Abdelaziz Ibn Saoud à la tête de l’union, une idée promue par St. John Philby, un expert britannique des affaires arabes qui avait des liens avec la cour royale, selon le rapport de Haaretz.
Le Royaume n’a jamais participé aux guerres contre Israël, et la très petite force qu’il a envoyée lors de la guerre d’indépendance n’a connu pratiquement aucune activité, selon le journal.
Ibn Saoud s’est opposé au plan de partition des Nations Unies qui a contribué à la création d’un État juif, mais cela était principalement dû aux craintes du monarque que la Jordanie n’étende son influence dans le monde arabe si elle contrôlait la partie arabe de la Palestine britannique. Il a ensuite approuvé le plan de partition, indique le rapport.
Podeh a déclaré à propos de Ibn Saoud : «Le père fondateur du Royaume d’Arabie Saoudite a jeté les bases de sa politique étrangère, et cela comprenait une approche politique pratique qui ne dépend pas d’une doctrine idéologique rigide.»
Riyad et Tel Aviv face à la «menace égyptienne»
Le roi Saoud, successeur du fondateur de l’Arabie saoudite, n’a pas envoyé de troupes pour aider l’Égypte lors de la guerre de 1956. Les relations entre le Caire et Riyad se sont détériorées au milieu des aspirations nationalistes du président égyptien Gamal Abdel Nasser, selon le rapport.
L’hostilité a atteint son apogée dans les années 1960, lorsque l’Égypte a participé à la guerre civile au Yémen. Pour la première fois, Israël et l’Arabie saoudite se sont retrouvés du même côté, cherchant à réduire la menace égyptienne. Le chef des renseignements saoudiens, Kamal Adham, savait que des avions israéliens survolaient l’espace aérien saoudien en route pour larguer des munitions aux forces royales au Yémen, selon Haaretz.
Pendant la guerre de 1967, le roi saoudien Fayçal n’a pas non plus envoyé de troupes en Égypte et, bien qu’il ait fait des déclarations ouvertement «antisémites», sa politique étrangère est restée pragmatique. Podeh dit que depuis cette guerre, le Royaume a indirectement reconnu Israël à l’intérieur des frontières de 1967, et des rapports ont fait état à l’époque de tentatives «ratées» de dialogue entre Israël et l’Arabie Saoudite.
Après la guerre, le baron Edmond de Rothschild, l’un des plus grands partisans du sionisme, a rencontré à Paris l’homme d’affaires saoudien Adnan Khashoggi, proche de la cour royale, pour tenter d’organiser une rencontre avec le roi Fayçal.
Au cours des années 1970, Khashoggi est resté engagé dans des communications secrètes avec des Israéliens, notamment avec David Kimchi, un haut responsable du Mossad, faisant de lui un canal de communication potentiel.
Kimchi lui a donné des informations sur un complot visant à saper le régime saoudien, que Khashoggi a promis de transmettre au prince Fahd, qui deviendra plus tard l’héritier du trône. Plus tard, par l’intermédiaire d’une agence de renseignement arabe, Israël a fourni aux Saoudiens des informations sur un complot visant à assassiner le roi Fahd.
Au début des années 1970, on a tenté d’organiser une réunion secrète à Londres entre Kamal Adham et le ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque, Abba Eban. Ephraim Halevy, ancien chef du Mossad, a déclaré : «Tout était prêt… mais il était tôt le matin et mon collègue Abba Eban ne s’est pas réveillé à temps, donc il n’a pas assisté à la réunion.»
Après l’élection de Menahem Begin en 1977, le prince Fahd a intensifié ses efforts pour établir des contacts avec Israël, et le Royaume a joué un rôle de premier plan en faisant pression sur l’OLP et Israël pour qu’ils se reconnaissent mutuellement.
Cette année-là, Fahd a noté que plus personne ne songeait à rayer Israël de la carte. Selon Podeh, le chef des renseignements saoudiens, Kamal Adham, «a parlé en termes de coopération économique et technologique directe entre Israël et l’Arabie saoudite».
En août 1977, un Américain proche de Fahd envoya une lettre à l’avocat israélien Ze’ev Sher, l’un des directeurs adjoints de Begin. La discussion a porté sur la faisabilité d’un accord saoudo-israélien.
En décembre de la même année, les Saoudiens ont reçu un autre message. Un journaliste palestinien lié à la cour royale saoudienne a été chargé de transmettre un message secret de Fahd au ministre des Affaires étrangères Moshe Dayan. Le Palestinien a tenté de le faire par l’intermédiaire de Rafi Setton, qui travaillait au Mossad et au Shin Bet.
Podeh raconte : «Le lendemain, une réponse a été reçue du cabinet du ministre des Affaires étrangères indiquant qu’il était impossible d’organiser la réunion sans que son contenu ait été présenté au préalable.»
Il est apparu plus tard que Fahd voulait demander à Israël de mettre fin à son refus de vendre des avions F-15 aux Saoudiens.
L’année 1981 fut une surprise : le prince Fahd présenta une initiative de paix stipulant le retrait d’Israël de toutes les terres qu’il occupait en 1967, y compris Jérusalem-Est, et la création d’un État palestinien avec Jérusalem pour capitale. Selon ce plan, tous les pays de la région accepteront de vivre en paix, ce qui signifie reconnaître Israël.
Dans les années 1980 également, le Mossad a eu des contacts officieux avec les Saoudiens. Aharon Shirf, membre du département chargé des relations internationales du Mossad, a déclaré : «Il y a eu des communications secrètes qui sont restées très secrètes». Le directeur de la division, Nahum Admoni, qui deviendra le chef du Mossad, est resté en contact avec le chef des renseignements saoudiens, Turki bin Faisal.
En 1983, le roi Fahd indiquait désormais en privé qu’Israël était une réalité sur le terrain, alors que le Royaume souhaitait que les relations entre tous les pays du Moyen-Orient, y compris Israël, puissent s’entraider et dépenser leur argent dans les infrastructures et non dans la production d’armes.
Iran et Irak, des adversaires communs
Au cours de la guerre du Golfe de 1991, Israël et l’Arabie saoudite ont de nouveau fait face à un adversaire commun lorsqu’ils ont tous deux été soumis à une attaque de missiles depuis l’Irak. La première réunion publique entre Israéliens et Saoudiens a eu lieu la même année lors de la Conférence de paix au Moyen-Orient à Madrid. Le prince Bandar bin Sultan, ambassadeur saoudien à Washington, représentait le Conseil de coopération du Golfe. «Nous avons parlé librement avec Bandar», a déclaré à Podeh Eytan Bentsur, directeur général du ministère des Affaires étrangères.
Lorsque Netanyahu est devenu Premier ministre en 1996, les contacts secrets se sont poursuivis. Il comprenait un projet de construction d’un gazoduc reliant l’Arabie saoudite aux territoires de Cisjordanie contrôlés par l’Autorité palestinienne.
En 2006, après la Seconde Guerre du Liban, des pourparlers directs et secrets ont eu lieu, cette fois sur deux autres ennemis communs d’Israël et de l’Arabie saoudite : l’Iran et le Hezbollah. Il s’agissait notamment de discussions entre le prince Bandar, alors chef du Conseil de sécurité nationale saoudien, et le Premier ministre Ehud Olmert, accompagné du chef du Mossad Meir Dagan.
Podeh a déclaré : «La réunion représente un développement dans les relations entre les deux pays». Il a ajouté : «C’était le début de la fusion des camps anti-iraniens et anti-chiites.»
En 2010, Dagan s’est rendu dans le Royaume, c’était la première fois qu’un responsable israélien y mettait les pieds. En 2014, Netanyahu a également rencontré Bandar. En 2020, Netanyahu et Yossi Cohen, alors chef du Mossad, se sont rendus dans le royaume et ont rencontré le prince héritier Mohammed bin Salman.
Mais les derniers mois ont été les plus intenses en termes de renforcement des relations, puisqu’ils ont vu la première visite officielle dans le Royaume d’un membre du cabinet israélien, le ministre du Tourisme Haim Katz, bien que pour assister à une conférence des Nations Unies. Puis vint le commentaire du prince héritier Mohammed : «Chaque jour, nous nous rapprochons de l’accord avec Israël.»
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