En allant voter, dimanche 24 décembre 2024, lors des élections locales, Kaïs Saïed a déclaré : «Notre objectif est de bâtir une ‘‘nouvelle République’’ qui répond aux objectifs de la révolution». Mais le taux d’abstention de 88,44% annoncé dans la soirée par la commission électorale va-t-il dans la même direction que le président de la république a choisie pour les Tunisiens ? Le débat est permis… Vidéo.
Par Imed Bahri
«Nous vivons, aujourd’hui, une expérience historique qui permettra aux personnes marginalisées, qui ne peuvent pas faire entendre leurs voix, de contribuer à la prise de décisions, d’élaborer les lois et de demander des comptes», avait déclaré le président de la république aux médias après avoir déposé son bulletin dans l’urne. «Les élus locaux seront ainsi proches de leurs concitoyens, transmettront leurs aspirations et préoccupations et œuvreront à les réaliser au niveau du Conseil régional, du Conseil des districts et du Conseil national des régions et des districts», a-t-il aussi expliqué, en reprenant la litanie de ses promesses habituelles qui lui ont valu, en 2019, un quasi plébiscite des Tunisiennes et des Tunisiens : «Nous allons œuvrer à assainir l’Etat, à l’expurger des corrompus et de ceux qui ont sévi pendant des décennies, à reconstruire et parachever les institutions mentionnées dans la Constitution [celle qu’il avait lui-même fait adopter par référendum en 2022, Ndlr], telles que le Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement et la Cour constitutionnelle».
Un faible intérêt du public
«Aujourd’hui, nous construisons un nouveau jalon dans l’édifice démocratique pour permettre aux Tunisiens d’exprimer souverainement leur volonté et d’exercer librement leur pouvoir de décision», a-t-il ajouté, ne laissant transparaître aucun doute quant à l’issue d’un scrutin qui, doit-on l’avouer, n’a pas suscité l’intérêt du grand public, loin s’en faut. Et les résultats n’ont pas tardé à en apporter la preuve.
On peut analyser les chiffres, chacun selon sa position sur l’échiquier politique et débattre des raisons qui ont amené les électeurs, pour la deuxième fois en un an, à bouder les urnes – lors des dernières législatives, le taux d’abstention était pratiquement le même – mais qu’on dise ce que l’on veut pour justifier l’injustifiable, au risque de tenir des propos insensés voire même ridicules, et on en a entendu des tonnes depuis hier soir, le fait est là : les Tunisiens ne semblent pas sentir l’urgence de la mise en place d’un Conseil national des régions et des districts, deuxième chambre parlementaire, afin de représenter l’ensemble des citoyens étant entendu que la première chambre, l’Assemblée en l’occurrence, n’était pas représentative, en tout cas pas suffisamment, comme l’a redit hier le président.
Dire que les élections d’hier étaient une réussite et que ses résultats sont satisfaisants, comme l’a fait le président de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie), Farouk Bouasker, lors de la conférence de presse d’hier soir, c’est se moquer de tous ces Tunisiennes et Tunisiens qui ont préféré bouder les urnes pour la seconde fois en moins d’un an, comme l’ont montré les chiffres même de l’Isie.
Une tendance lourde
Non, ces élections ont été fiasco et la participation citoyenne recherchée n’a pas eu lieu, même si, après le second tour déjà annoncé, ledit Conseil national des régions et des districts va être installé avec le tralala habituel, n’en déplaise à celles et ceux qui n’en voient aucune utilité. Et qui sont, admettons-le, les plus nombreux.
Quand aux 11,66% des Tunisiennes et des Tunisiens – d’ailleurs beaucoup plus de Tunisiens que de Tunisiennes – qui ont voté hier, on peut dire qu’ils ont donné leur voix davantage au président Saïed, dont ils attendent toujours monts et merveilles, qu’à ceux parmi leurs compatriotes dont ils ont coché les noms dans le bulletin de vote.
Il reste cependant à se demander si les présidentielles prévues en 2024 vont connaître un meilleur taux de participation. Qu’on nous permette d’en douter, car en politique, il y a des tendances lourdes qui ne trompent pas. Aussi cet abstentionnisme chronique des Tunisiens doit-il être interrogé et analysé comme il se doit, afin d’éviter de nouvelles déconvenues, au moment où le pays traverse une crise multiforme, à la fois politique, économique et sociale, dont les nuages ne semblent pas devoir se dissiper bientôt. Le risque est grand de voir se réaliser le mauvais présage du «Jamais deux sans trois».
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