‘‘La complainte du poète assassiné’’, dernier roman de Ahmed Mahfoudh (éditions Arabesques, Tunis 2024, 188 pages), est comme son titre le suggère une biographie romancée, celle du poète et journaliste Mohamed Laâribi, ayant marqué la vie littéraire en Tunisie au cours de la première moitié du 20e siècle.
Par Latif Belhedi
Mohamed Laâribi, qui faisait partie du groupe littéraire Taht Essour, du nom du café que ses membres fréquentaient au quartier populaire de Bab Souika, à la lisière de la médina de Tunis, est moins connu que Bayrem Ettounsi, Ali Douagi, Abderrazek Karabaka ou autres Abdelaziz Laroui, mais son parcours et son œuvre méritent d’être mieux connus des lecteurs. Sauf que les sources biographiques manquent pour mieux cerner ce personnage bohémien, nomade, irréductible et fuyant. D’où le parti-pris de Ahmed Mahfoudh, qui a tenu à écrire non pas une biographie de Mohamed Laâribi, eu égard la rareté des sources, mais un roman inspiré de son personnage, et qui donne libre cours à l’imagination : la fiction rattrapant à chaque fois la réalité, pour combler ses vides et ses blancs.
L’être profond des choses
Dans un avis aux lecteurs, le romancier a tenu à prévenir le lecteur que, «comme dans toute création romanesque, la part de fiction est capitale pour accéder à la vérité du personnage, non seulement à cause de l’indigence des documents – nous avons dû recourir à notre imagination pour combler bien d’ellipses –, mais surtout parce que la vérité romanesque ne se situe pas au niveau de l’exploitation exhaustive du réel. Elle est plutôt réinventée par l’écrivain dont les fantasmes touchent à l’être profond des choses».
‘‘La complainte du poète assassiné’’ n’est donc pas une biographie et on est prié de le noter dès le début du roman pour ne pas avoir à reprocher à l’auteur quelque inexactitude dans l’évocation de certains épisodes ou aspects de la vie et du parcours de Mohamed Laâribi. Soit, mais on ne comprend pas pourquoi le romancier, sur les «instructions» du chercheur universitaire tapi au fond de lui, se sent-il obligé de multiplier les notes de fin page pour authentifier tel fait ou telle citation. N’aurait-il pas gagné à se libérer de cette exigence de véracité et de raconter les heurs et malheurs d’un poète, ses joies et ses regrets, ses combats et ses échecs, dans une Tunisie sous-occupation française, sur fond de guerre mondiale et de combat pour la libération nationale, sans devoir, à chaque fois, mettre des noms historiques sur des personnages en grande partie imaginaires ou, en tout cas, imaginés?
Pour combler les vides et les blancs, notamment en ce qui concerne les dernières années du poète passées en France, le jeu valait la chandelle, sauf qu’au final, la matière romanesque s’est avérée assez pauvre et, roman ou biographie romancée, notre connaissance du personne n’a gagné ni en richesse ni en densité, Mohamed Laâribi restant un personnage aussi nébuleux et insaisissable qu’il a toujours été pour nous.
Un homme, une ville, une époque
Le roman se laisse cependant lire avec plaisir, surtout par les jeunes générations qui découvriront, au fil des pages, le Tunis cosmopolite de la première moitié du 20e siècle, ses populations bigarrées, assoiffées de modernité et de liberté, ses écrivains rebelles, ses poètes maudits et ses divas délurées qui faisaient tourner les têtes les mieux faites, entre exubérance et pauvreté, avec en arrière-fond, les bruits de bottes des armées qui s’y livraient des batailles décisives pour le contrôle du monde.
Le décor ainsi planté, il y aurait matière à un roman fleuve à la manière de Lawrence Durrel et de son célèbre ‘‘Quatuor d’Alexandrie’’. Mais pour y parvenir, Ahmed Mahfoudh aurait mieux fait d’oublier ses notes, d’abandonner ses prétentions académiques, de libérer le poète en lui et de laisser libre cours à son imaginaire pour réinventer le Tunis cosmopolite des années 1900-1950. En s’enfermant dans le personnage étriqué de Mohamed Laâribi dont il cherche visiblement à réhabiliter la mémoire et à faire connaître l’œuvre, somme toute mineure, le romancier semble être passé à côté de l’essentiel : écrire
Le décor ainsi planté, il y aurait matière à un roman fleuve à la manière de Lawrence Durrel et de son célèbre ‘‘Quatuor d’Alexandrie’’. Mais pour y parvenir, Ahmed Mahfoudh aurait mieux fait d’oublier ses notes, d’abandonner ses prétentions académiques, de libérer le poète en lui et de laisser libre cours à son imaginaire pour réinventer le Tunis cosmopolite des années 1900-1950. En s’enfermant dans le personnage étriqué de Mohamed Laâribi dont il cherche visiblement à réhabiliter la mémoire et à faire connaître l’œuvre, somme toute mineure, le romancier semble être passé à côté de l’essentiel : écrire «le» roman d’une ville et d’une époque autrement plus riches et fascinantes.
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