Farida Khelfa, la vie comme un roman

Sa vie est un roman. Le livre ‘‘Une enfance française’’ de Farida Khelfa, premier mannequin international d’origine arabe, est incontestablement bien plus qu’une autobiographie. D’abord son destin est romanesque. Ensuite, il est également question de psychologie, d’histoire, de politique et de sociologie.

Chedly Mamoghli *

Issue d’une famille de migrants algériens arrivés en France à la fin des années 1950 et installée à Lyon, elle se livre avec beaucoup de pudeur sur une enfance marquée par la pauvreté mais surtout minée par l’extrême violence et la tyrannie domestique de son père. «Une violence archaïque du Djebel algérien», explique-t-elle, exacerbée par l’alcoolisme et le déracinement.

Tracer son propre destin

L’autre cause de cette violence paternelle est la déshumanisation causée par la brutale colonisation française dont les traumas se transmettent inconsciemment de génération en génération.

Elle raconte aussi la vie dans les cités, dans le quartier des Minguettes dans la banlieue lyonnaise, où elle a grandi.

Farida Khelfa finira par fuir le carcan insupportable et toxique pour tracer son propre destin. Elle s’installera à Paris et c’est dans le Palace, le temple de la nuit parisienne des années 70-80, qu’aura lieu le tournant de sa vie. Elle y fera une rencontre qui lui ouvrira les portes du monde de la mode en commençant à travailler pour le jeune Jean-Paul Gaultier.

Plus tard, une autre rencontre sera tout aussi déterminante, celle d’un autre Jean-Paul, Jean-Paul Goude (célèbre et talentueux graphiste, photographe, metteur en scène et réalisateur de films publicitaires) qui venait de se séparer de Grace Jones (icône de la mode et de la musique à la notoriété internationale d’origine jamaïcaine).

Une leçon de vie

Farida Khelfa écrit: «Jean-Paul était décidé à faire de moi la première icône arabe de la mode. C’est ainsi qu’un beau jour il m’emmena rue de Bellechasse, chez Azzedine Alaïa». Débutera alors une longue relation professionnelle et amicale. Elle sera mannequin et muse du créateur franco-tunisien et plus tard responsable au sein de la maison Alaïa. Sa carrière se poursuivra bien au-delà du monde de la mode. Toutefois, elle sera confrontée à d’autres problèmes qui sont la conséquence de l’enfance chaotique mais saura s’en extraire avec un indiscutable instinct de survie.

Souvent les gens sont conditionnés par leur milieu, d’autres sont carrément prisonniers à vie de leur milieu. Farida Khelfa a prouvé que l’on peut s’émanciper de son milieu, ne pas céder au fatalisme, construire son propre destin et ainsi échapper à «la reproduction sociale» chère à Pierre Bourdieu mais tout en restant fidèle à ses origines avec lesquelles elle n’a jamais coupé en témoigne la belle solidarité de la fratrie Khelfa et comment elle a tenu à ce que ses enfants aillent une fois par mois aux Minguettes pour connaître un autre monde que celui du microcosme des beaux quartiers parisiens. S’émanciper sans se renier. Un destin romanesque et une leçon de vie!

* Juriste.

 ‘‘Une enfance française’’, de Farida Khelfa, éd. Albin Michel, Paris, 17 janvier 2024, 256 pages.