Yahya Sinwar, le fantôme qui hante Israël et les États-Unis

Il court, il court le Sinwar. Plus de dix mois, bientôt onze que les Israéliens et les Américains traquent main dans la main Yahya Sinwar. Technologie de pointe, unité créée conjointement au sein du Shin Bet consacrée à sa traque, implication américaine au plus haut niveau et il demeure introuvable. Et comme si cela ne suffisait pas et comme dans un pied de nez, l’enfant de Khan Yunis a été coopté ce mois-ci chef du mouvement de la résistance islamique Hamas. Yahya Sinwar devenu l’homme le plus recherché du monde est désormais un fantôme qui hante Israël et les États-Unis. 

Imed Bahri

Le New York Times a publié dimanche 25 août 2024 une enquête préparée par Mark Mazzetti, Julian E. Barnes, Ronen Bergman et Adam Goldman intitulée «Israël à la recherche du leader insaisissable du Hamas» considérant que Sinwar prive l’armée israélienne du succès en raison de sa capacité à échapper à l’arrestation ou à la mort.

L’enquête indique que les responsables américains et israéliens pensaient en janvier dernier avoir réalisé une avancée décisive dans la traque de l’un des hommes les plus recherchés au monde. Le 31 janvier, les forces spéciales ont attaqué un complexe de tunnels dans le sud de Gaza sur la base d’informations selon lesquelles Sinwar y était présent. Ils ont découvert qu’il se trouvait à l’intérieur mais il avait quitté le tunnel sous la ville de Khan Yunis quelques jours avant le raid, laissant selon le journal américain des documents et des tas de shekels israéliens d’une valeur d’un million de dollars et depuis sa recherche se poursuit sans preuve concluante sur l’endroit où il se trouve.

Le fantôme des tunnels

Le NYT ajoute que Sinwar qu’Israël accuse d’avoir planifié et dirigé les attentats du 7 octobre est devenu comme un fantôme. Il n’est jamais apparu en public, envoie rarement des messages à ses partisans et n’a donné aucune indication sur l’endroit où il aurait pu se cacher.

Selon le journal américain, Sinwar étant le symbole le plus important du mouvement Hamas, son succès à éviter d’être arrêté ou tué a privé Israël de la capacité à prétendre avoir gagné la guerre et éliminé le Hamas dans un conflit qui a conduit à des pertes dans les rangs du groupe palestinien mais aussi à la destruction de la bande de Gaza en tuant des dizaines de milliers de civils.

Le journal a cité des responsables américains et israéliens affirmant que Sinwar avait évité les communications électroniques pendant longtemps et avait jusqu’à présent évité un réseau de renseignement complexe. On pense qu’il reste en contact avec l’organisation qu’il dirige grâce à un réseau de correspondants humains. Même si le fonctionnement de ce système reste un mystère. C’est une tactique sur laquelle le Hamas et d’autres groupes, comme jadis Oussama Ben Laden, ont eu recours dans le passé.

Cependant, la situation de Sinwar est plus complexe et extrêmement frustrante pour les responsables américains et israéliens. Contrairement à Oussama Ben Laden dans ses dernières années, Sinwar dirige une opération militaire. Les diplomates participant aux négociations de cessez-le-feu affirment que les dirigeants du Hamas à Doha insistent pour connaître son opinion sur les décisions importantes liées aux négociations. En tant que dirigeant le plus respecté et le plus favorisé du Hamas, il est le seul à décider quelles décisions seront prises à Doha et mises en œuvre à Gaza.

Des entretiens menés par des journalistes avec plus de vingt responsables en Israël et aux États-Unis révèlent que les deux pays ont consacré d’énormes ressources pour tenter de retrouver Sinwar. Ils ont créé une unité spéciale au sein du siège du service israélien de sécurité intérieure Shin Bet et ont demandé aux services d’espionnage américains d’intercepter les communications du Palestinien. Les États-Unis ont également fourni à Israël un radar pénétrant le sol pour aider à le rechercher ainsi que d’autres dirigeants du Hamas.

Une si difficile victoire

Les responsables américains estiment que tuer Sinwar ou le capturer aura sans doute un impact sur la guerre et donnera au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu un moyen de prétendre d’une manière ou d’une autre qu’il a remporté une victoire militaire et qu’il est prêt à mettre fin à la guerre à Gaza. Mais ce qu’on ne sait pas, estime le NYT, c’est l’impact qu’aura sa mort ou son arrestation sur le déroulement des négociations pour libérer les détenus. Peut-être que son successeur décidera d’adopter une position dure et refusera de négocier un accord avec Israël.

Des responsables égyptiens, qataris et américains ont déclaré que la communication avec Sinwar était devenue plus difficile ces derniers mois car il avait l’habitude de répondre aux messages en quelques jours mais ces jours-ci, la réponse attendait plus longtemps et ses adjoints agissaient en son nom dans ces discussions.

Début août, le mouvement a choisi Sinwar, 61 ans, comme chef de son bureau politique, après l’assassinat du chef du Bureau Ismaïl Haniyeh à Téhéran même si Sinwar avant même son élection était considéré comme le leader de facto et les dirigeants basés à Doha ne détenaient que des titres.

Le journal note que le leader du Hamas est soumis aujourd’hui à des pressions pour diriger les opérations militaires quotidiennes dans la bande de Gaza même s’il conserve la capacité de déterminer la stratégie générale du mouvement. Le NYT ajoute que les responsables des services de renseignement israéliens et les hommes politiques se sont rencontrés après l’opération Déluge d’Al-Aqsa d’octobre 2023 pour déterminer la liste des dirigeants et responsables politiques du Hamas à cibler, et qu’un certain nombre d’entre eux ont été tués ces derniers mois dont Haniyeh. À chaque meurtre, le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant appose un X sur chaque nom sur la liste des dirigeants du Hamas accrochée au mur de son bureau mais Sinwar est toujours en fuite.

Avant la guerre, Sinwar avait une présence dominante à Gaza où il donnait des interviews, supervisait des manœuvres militaires et était apparu pour remettre un prix dans une émission télévisée montrant une attaque du Hamas contre Israël.

Une longueur d’avance

Les responsables des services de renseignement et militaires pensent que Sinwar vivait dans un réseau de tunnels sous Gaza, la plus grande ville de la bande et la première cible de l’invasion israélienne. Lors d’un des premiers raids, les soldats israéliens ont découvert une vidéo, filmée il y a quelques jours, montrant Sinwar déplaçant sa famille vers une nouvelle cachette sous la ville. Les responsables des renseignements israéliens pensent que Sinwar a gardé sa famille avec lui pendant les six premiers mois de la guerre. À cette époque, Sinwar utilisait encore des téléphones portables et des téléphones satellites, rendus possibles par les réseaux de téléphonie mobile présents dans les tunnels. Il s’est entretenu de temps en temps avec des responsables du Hamas à Doha. Les agences de renseignement américaines et israéliennes ont pu surveiller certains de ces appels mais n’ont pas pu déterminer sa localisation. Alors que le carburant venait à manquer à Gaza, Gallant, malgré l’opposition du gouvernement d’extrême droite, a transporté d’autres cargaisons afin de fournir du carburant aux générateurs qui alimentent les réseaux téléphoniques donnant ainsi à Israël la possibilité d’écouter clandestinement.

Durant cette période, les agences de renseignement israéliennes ont pu surveiller sa vie clandestine notamment son suivi de l’actualité et son insistance à regarder le journal télévisé de 20 heures de la télévision israélienne.

Sinwar a également rencontré des détenus israéliens et s’est adressé à eux dans un hébreu courant leur disant qu’ils étaient en sécurité et qu’ils ne subiraient aucun préjudice selon un détenu israélien qui a été libéré lors de l’échange de novembre.

Les responsables israéliens affirment que tous les dirigeants du Hamas vivent dans des tunnels souterrains mais qu’eux et Sinwar les quittent occasionnellement et pour des raisons de santé. Toutefois, le réseau de tunnels est très étendu et complexe et les combattants du Hamas disposent de bons renseignements sur la localisation des forces israéliennes au point que Sinwar peut parfois émerger à la surface sans être détecté.

Les mêmes responsables affirment qu’au moment où leurs forces ont attaqué la cachette de Khan Yunis, Sinwar s’était déjà échappé. Il avait une longueur d’avance sur ceux qui le poursuivaient car ils se vantaient d’être sur le point de l’atteindre. Fin décembre, alors que des unités de l’armée israélienne creusaient des tunnels dans un quartier de la ville, Yoav Gallant a déclaré aux journalistes que Sinwar entend les bulldozers de l’armée israélienne au-dessus de lui et fera bientôt face aux canons de nos fusils. Il semble que Sinwar ait rapidement quitté les lieux laissant derrière lui une pile de shekels israéliens.

L’échec des Américains  

Le NYT note que les renseignements militaires et le Shin Bet ont créé peu après cette tentative l’unité spéciale au sein du Shin Bet avec pour mission de trouver Sinwar. La CIA a également formé une force spéciale et le Pentagone a envoyé des forces d’opérations spéciales pour conseiller les forces israéliennes sur la guerre à venir. Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, a déclaré: «Nous avons consacré des efforts et des ressources considérables au profit des Israéliens pour rechercher les hauts dirigeants en particulier Sinwar. Nous avons eu des gens en Israël assis dans la salle d’opération avec les Israéliens pour travailler sur ce problème. Nous avons évidemment beaucoup d’expérience dans les traques importantes.»

Plus précisément, les États-Unis ont déployé un radar capable de pénétrer les tunnels et de photographier le réseau qui s’étend sur des centaines de kilomètres. Grâce à ces photos et informations recueillies, Israël prétend avoir pu dresser un tableau complet du réseau de tunnels. Un haut responsable israélien a déclaré que les renseignements fournis par les États-Unis étaient inestimables.

En dépit de ces renseignements qualifiés d’inestimables, des moyens colossaux déployés et de la technologie de pointe américano-israélienne, Sinwar continue de courir et faire courir les Israéliens et les Américains.