Après l’assassinat du chef chiite libanais Hassan Nasrallah, il est peu probable que l’Iran fasse prévaloir l’esprit de vengeance sur ses intérêts supérieurs et ses calculs géopolitiques. Et cela, les Israéliens et leurs alliés Américains le savent bien, qui cherchent aujourd’hui à pousser leur avantage dans une région où le fameux «axe de la résistance» n’a jamais été aussi faible.
Imed Bahri
La république islamique d’Iran n’a pas répliqué à l’assassinat le 3 janvier 2020 de général Qassem Soleimani, chef des forces Al-Qods, unité d’élite des Gardiens de la révolution et architecte de l’Axe de la Résistance pro-iranien au Moyen-Orient.
L’Iran n’a pas répliqué également à l’assassinat par le Mossad en plein jour et au cœur de Téhéran le 27 novembre 2020 de Mohsen Fakhrizadeh, le haut responsable du programme nucléaire iranien.
L’Iran n’a pas également répliqué à l’assassinat au chef du bureau politique du Hamas Ismaïl Haniyeh le 31 juillet 2024 dans une résidence des Gardiens de la Révolution à Téhéran où personne n’était censé savoir qu’il y était.
De même, l’Iran ne répliquera pas à l’assassinat du chef du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah perpétré le 27 septembre 2024 à Beyrouth et n’entrera pas en guerre contre Israël.
Il faut être naïf pour croire que la république islamique va faire prévaloir la vengeance sur ses intérêts supérieurs et ses calculs géopolitiques et il semble que les Israéliens qui sont toujours aux aguets des carences et des faiblesses de leurs ennemis l’ont rapidement capté et ont compris que le Hezbollah est isolé et que son parrain iranien ne volera pas à son secours.
Que veulent exactement les Iraniens ?
Le journal israélien Yedioth Ahronoth a affirmé, samedi 28 septembre 2024, que les frappes intensives lancées par l’armée israélienne contre le Hezbollah ne donnent aucune raison à l’Iran de participer aux combats, notant que la nouvelle phase du conflit place Téhéran à un moment diplomatiquement inapproprié. Le journal rapporte que l’Iran se concentre actuellement sur une campagne diplomatique visant à parvenir à une solution politique avec les États-Unis concernant son programme nucléaire et au-delà si possible. Le timing de la guerre entre Israël et le Hezbollah ne convient pas à la république islamique.
Cependant, selon le journal, il est encore trop tôt pour savoir ce que veulent exactement les dirigeants iraniens dirigés par le guide suprême Ali Khameneï et s’ils cherchent réellement à résoudre la question nucléaire ou si leur objectif est simplement de gagner du temps jusqu’en octobre 2025, date d’expiration de la clause permettant aux pays européens de renouveler les sanctions contre l’Iran sans droit de veto au Conseil de sécurité. Dans les deux cas, la dernière chose que souhaite l’Iran dans le cadre de sa campagne diplomatique actuelle est d’être entraîné dans une confrontation militaire directe avec Israël sans parler des États-Unis.
Self control, patience tactique ou laisser-faire complice ?
Depuis le début de la guerre à Gaza, l’Iran a recherché un cessez-le-feu mais à mesure que la guerre se poursuivait, il a cherché à épuiser Israël dans une longue guerre sur plusieurs fronts sans payer un prix très élevé. Il a fermement condamné les actions d’Israël et a appelé la communauté internationale à œuvrer pour mettre fin aux frappes lancées par les forces israéliennes contre les cibles du Hezbollah.
Le président iranien a déclaré à CNN cette semaine que le Liban ne devrait pas devenir un autre Gaza aux mains d’Israël et a clairement indiqué que le Hezbollah ne peut pas faire face tout seul à un pays comme Israël qui possède des armes avancées et bénéficie du soutien des États-Unis. Son conseiller Mohamed Javad Zarif, par ailleurs ministre des Affaires étrangères lors de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en 2015, a déclaré cette semaine: «Nous avons fait preuve de self control après l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh». Une déclaration on ne peut plus claire que l’Iran ne veut pas entrer en guerre et un clin d’œil à Washington pour dire que l’Iran souhaite le dialogue et non la guerre.
Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araqchi, qui faisait partie de l’équipe de négociation nucléaire qui a conduit à l’accord historique de 2015 avec les États-Unis, a confirmé à New York que l’Iran ne resterait pas indifférent aux attaques israéliennes et a déclaré qu’il soutiendrait le Liban toutefois il est clair selon le Yedioth Ahronoth que l’Iran n’interviendra pas militairement directement en faveur du Hezbollah à ce stade d’autant plus que de hauts responsables iraniens ont mis en garde ces derniers jours contre le piège tendu par Israël à l’Iran.
L’Iran cherche à éviter la confrontation à tout prix
Pezeshkian, l’actuel président iranien, a accusé Israël de chercher à déclencher une guerre à grande échelle au Moyen-Orient et de tenter de créer une situation qui entraînerait son pays dans une confrontation globale. Son ministre des Affaires étrangères a déclaré que l’Iran était pleinement conscient qu’Israël tentait de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve à Gaza en entraînant l’Iran et les États-Unis dans une guerre régionale mais Téhéran n’a pas l’intention de tomber dans ce piège.
D’un autre côté, Yedioth Ahronoth s’attend à ce que l’Iran entraîne Israël dans une guerre d’usure à long terme avec le Hezbollah si Tel-Aviv décidait de lancer une opération terrestre au Liban ce qui pourrait épuiser Israël militairement ainsi que sur le front intérieur et l’empêcher d’atteindre ses objectifs que ce soit à Gaza ou sur le front nord.
Cependant, des dommages graves et prolongés aux capacités stratégiques du Hezbollah considéré comme le «joyau de la couronne de l’Axe de la Résistance» pourraient modifier l’évaluation de l’Iran quant à sa capacité à maintenir le mouvement chiite libanais en tant que principal bras stratégique dans la dissuasion d’Israël et pour répondre en cas d’attaque contre ses installations nucléaires.
Ce scénario selon Raz Tsemet, chercheur et expert des affaires iraniennes à l’Institut israélien d’études sur la sécurité nationale, pourrait forcer l’Iran à intervenir directement pour sauver le projet du Hezbollah qu’il parraine depuis des décennies à moins qu’un cessez-le-feu ne soit conclu avant que l’Iran n’éprouve besoin d’intervenir.