Les conséquences d’une attaque israélienne sur les installations pétrolières iraniennes

L’histoire, implacable, semble parfois s’écrire à la croisée des chemins du pétrole et des guerres. Une attaque israélienne, annoncée foudroyante, probablement sur les installations pétrolières iraniennes, dans le contexte géopolitique et énergétique actuel, marquerait un choc violent sur l’économie mondiale. Ce choc ne serait pas uniquement militaire ou politique. Il serait avant tout énergétique, économique et systémique, avec des effets en cascade sur l’ensemble des continents. (Illustration : cartes des gisements de pétrole et de gaz iraniens).

Yahya Ould Amar *

L’Iran, quatrième plus grand producteur de pétrole, et surtout, un acteur stratégique dans la région du Moyen-Orient, verrait ses infrastructures pétrolières massivement perturbées, voire en partie détruites. Une telle attaque précipiterait une interruption brutale de l’approvisionnement mondial en pétrole, et la réaction des marchés serait immédiate : une flambée sans précédent du prix du baril.

Imaginons, dans un monde où la production iranienne chute de 50% ou plus, couplée aux risques de perturbation des routes maritimes, notamment dans le détroit d’Ormuz, par où transite près de 20% du pétrole mondial. Le baril, à ce moment, pourrait facilement dépasser les 150 dollars, voire 200 dollars, rendant immédiatement insoutenable la facture énergétique pour la majorité des pays importateurs. Les économies développées verraient leur croissance amputée, et les économies émergentes, déjà fragilisées, risqueraient la récession.

Une fragilité des monarchies du Golfe

En réponse, l’Iran, acculé, n’aurait d’autre choix que de riposter. Et sa riposte viserait sans doute, outre Israël, les infrastructures de ses rivaux directs : l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, joyaux pétroliers du Golfe et alliés historiques des puissances occidentales. Les champs pétroliers saoudiens, ainsi que les terminaux pétroliers des Émirats deviendraient des cibles stratégiques.

Si ces infrastructures étaient touchées, l’impact serait dévastateur pour l’approvisionnement mondial en pétrole. Une telle attaque pourrait faire plonger la production mondiale de plusieurs millions de barils par jour, précipitant une crise énergétique planétaire. Les prix du baril exploseraient davantage, entraînant une inflation mondiale vertigineuse.

Une nouvelle crise systémique?

Les conséquences économiques d’une flambée des prix de l’énergie seraient implacables. Dans un premier temps, les coûts de production augmenteraient de manière exponentielle, affectant l’ensemble des secteurs industriels dépendants de l’énergie, du transport aérien à la production manufacturière. La plupart des économies avancées, déjà aux prises avec des dettes publiques colossales et des tensions inflationnistes, seraient contraintes de revoir leur politique monétaire.

Cette hausse rapide des prix de l’énergie entraînerait une contraction de la demande et précipiterait une récession dans de nombreux pays, exacerbée par l’incertitude géopolitique et les perturbations commerciales.

Les marchés financiers réagiraient fortement, avec une volatilité accrue. Les investisseurs chercheraient à se réfugier dans des actifs sûrs, tels que l’or ou les obligations d’État des pays développés, entraînant une baisse des marchés actions.

Les banques centrales, face à la poussée inflationniste, auraient peu d’options. Augmenter les taux d’intérêt pour juguler l’inflation risquerait d’étrangler une croissance déjà fragile, poussant plusieurs économies dans la récession. On assisterait alors à un ralentissement économique mondial qui pourrait faire écho à la crise de 2008, mais avec des facteurs aggravants : cette fois, le choc est énergétique, inflationniste, et géopolitique à la fois.

Les pays émergents, déjà vulnérables face à la hausse du prix des denrées alimentaires et des biens de consommation, seraient les premiers touchés. En Afrique, en Amérique latine ou en Asie du Sud, la combinaison d’un pétrole cher, d’une forte inflation des prix de produits alimentaires et de tensions géopolitiques pourrait entraîner une instabilité sociale, voire des révoltes.

Ceux qui dépendent fortement des importations de pétrole seraient plus durement touchées. La hausse des prix de l’énergie pourrait accroître leurs déficits commerciaux et peser sur leurs réserves de change, ce qui pourrait déstabiliser leurs monnaies et provoquer des crises économiques violentes.

Un arbitrage paradoxal pour la Russie

Dans ce tumulte mondial, un acteur observerait avec une attention particulière l’évolution de cette crise : la Russie. De manière paradoxale, ce pays, également producteur de pétrole et de gaz, pourrait initialement bénéficier de la flambée des prix du baril. Les revenus pétroliers russes bondiraient, renforçant temporairement l’économie russe, déjà mise à mal par les sanctions occidentales.

Cependant, cet avantage serait à double tranchant. Si la Russie se réjouit à court terme d’un marché pétrolier en ébullition, elle pourrait très vite en subir les conséquences. Une récession mondiale signifierait une baisse de la demande énergétique, y compris pour les hydrocarbures russes. L’Europe, bien que dépendante de l’énergie, accélérerait son virage vers les énergies alternatives, et l’instabilité dans les marchés émergents, principaux partenaires économiques de la Russie, impacterait ses exportations.

De plus, dans le contexte géopolitique, la Russie verrait sa position affaiblie à long terme. Un Moyen-Orient en flammes pourrait précipiter une intervention militaire accrue des États-Unis et de leurs alliés, compliquant la position de Moscou dans ses propres ambitions régionales. La Russie, tout en tirant des bénéfices économiques immédiats, serait donc contrainte de jouer un rôle d’arbitre fragile dans une région qui lui échappe en partie.

Vers la fin de l’âge du pétrole?

À plus long terme, cette crise pourrait bien accélérer des transformations profondes. La dépendance mondiale au pétrole serait remise en question, forçant les grandes puissances économiques, comme l’Europe, la Chine et même les États-Unis, à intensifier leur transition énergétique. L’urgence climatique, couplée aux crises géopolitiques, pousserait de nombreux gouvernements à réorienter leurs politiques vers des sources d’énergie alternatives plus résilientes.

Dans ce scénario, la Chine, déjà en tête de la course aux énergies renouvelables, pourrait tirer son épingle du jeu. Moins dépendante que l’Occident des hydrocarbures du Moyen-Orient, elle accélérerait son investissement dans le solaire, l’éolien et le nucléaire, consolidant ainsi sa suprématie économique mondiale.

Enfin, une attaque israélienne sur les installations pétrolières iraniennes entraînerait non seulement un choc immédiat sur les marchés de l’énergie, mais elle marquerait aussi une fracture irréversible dans l’économie mondiale. Les puissances, acculées par la flambée des prix, se tourneraient vers de nouvelles stratégies énergétiques, accélérant la fin de l’ère du pétrole comme pilier de la prospérité mondiale. Mais cette transition ne se ferait pas sans douleur. La Russie, bien que renforcée à court terme, verrait ses ambitions à long terme compromises. Dans un tel monde, le Moyen-Orient resterait le théâtre d’une bataille pour la survie énergétique, avec des répercussions incalculables sur l’ordre géopolitique mondial.

* Economiste, banquier et financier.

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