Le poème du dimanche : ‘‘La légende de Sayyab et le limon’’

Sargon Boulus (سركون بولص) est un poète irakien d’origine kurde. Il est l’une des voix de la modernité dans la poésie irakienne et arabe.

Né en 1944 à Habaniya, il grandit à Kirkouk au nord de l’Irak où il crée avec d’autres poètes, le «Groupe de Kirkouk».

Le poète s’installe après, à Bagdad, puis en 1966, il arrive à Beyrouth, à pieds, publie ses poèmes dans la revue Shi’r, où il traduit la poésie américaine.

En 1969, le poète s’installe à San Francisco, en Californie, écrit en arabe et anglais, crée la revue Tigris, exerce l’enseignement, voyage en Europe, publie des recueils de poésie dont l’écriture d’avant-garde l’installe comme l’un des modernistes arabes.

Il décède en 2007.    

Tahar Bekri

Sayyab a su dès le début

que les choses possibles d’aimer, sont rares

Un visage

lumineux comme un pain

par en-dessous de pauvres langes

dans son petit berceau

Des femmes affectueuses

comme des nourrices

dans les légendes, une poignée de limons humides

comme la mémoire du déluge qui continuait à le poursuivre

des fissures de son souvenir

Les fenêtres qu’il a vues

ouvertes à l’enfance, chantées,

chantées même dans la brûlure de l’attente

sur les lits des hôpitaux

éloignés des eaux

de l’Irak, pour lesquelles il a suppliées

même la boue des ruisseaux

Sayyab a su dès le début

que le pied nu ne peut mener

qu’à une prison ou une potence, que la pauvreté est le diable

tant que le monde dans sa misère et sa beauté

est un banquet pour les autres

dressé partout en notre nom

afin qu’il soit accaparé par les barbares,

que le lendemain est une forêt

qui ne verdit qu’au cri de ses loups

Chaque fois qu’il écrivait un poème

l’hôpital chutait

dans le précipice…

Et quand la nuit serviable

lui parvint avec son halo d’éternité

que la mort lui fut dénudée

comme une danseuse sans visage, dans la dernière taverne de terre

Jeykour tourna dans le fleuve de son sang,

avec sa boue et ses ombres une autre fois

Il vit Dieu se reposer

Au fond de Bouwayb *

Traduit de l’arabe par Tahar Bekri

Al Awwal Wa-tali, (Le premier et le dernier), Al-Jamal, Cologne, 1992.

* Poème célèbre de Sayyab où il chante ce lieu  (NDT)  

error: Contenu protégé !!