‘‘Fahla’’ de Rabeh Sebaa : un roman au cœur des luttes algériennes

Dans un paysage littéraire algérien où les langues officielles — arabe, français et tamazight — se disputent, Rabeh Sebaa choisit de bousculer les conventions en publiant ‘‘Fahla’’, un roman audacieux écrit en langue algérienne, dans les deux versions graphiques arabe et latine, invitant à une réflexion profonde sur la société algérienne, en abordant des sujets sensibles qui touchent à la fois à la culture, à l’histoire et aux défis contemporains du pays..

Guettala Djamal 

Ce choix linguistique novateur donne une voix écrite à l’algérien, souvent relégué au statut de dialecte, et permet de toucher un public plus large, y compris les jeunes générations de la diaspora.

Dans cet entretien, Rabeh Sebaa nous parle de son œuvre et de son engagement pour la reconnaissance de cette langue, tout en explorant les thèmes centraux de ‘‘Fahla’’ : la lutte des femmes pour leurs droits, la résistance face aux forces de l’obscurantisme, et la quête d’un idéal de beauté et de vérité.

À travers ‘‘Fahla’’, l’auteur nous invite à une réflexion profonde sur la société algérienne, en abordant des sujets sensibles qui touchent à la fois à la culture, à l’histoire et aux défis contemporains du pays.

Kapitalis: Qu’est-ce qui vous a incité à écrire ‘‘Fahla’’ en dialecte algérien et en lettres latines ?

Rabah Sbeaa : L’absence de la langue algérienne dans un paysage littéraire dominé par un triptyque linguistique (arabe, français et tamazight) m’a interpellé. La langue parlée par la majorité des Algériens n’avait pas droit de cité. Il était donc nécessaire de réparer cette anomalie.

‘‘Fahla’’ est sorti simultanément en deux versions graphiques, arabe et latine. Cette dernière vise les locuteurs ayant appris l’algérien par transmission orale mais qui ne connaissent pas l’alphabet arabe, comme les enfants d’émigrés ou les étrangers ayant vécu en Algérie.

Comment le contexte sociopolitique actuel de l’Algérie a-t-il influencé votre écriture et les thèmes abordés dans ce roman ?

Beaucoup de critiques littéraires considèrent ‘‘Fahla’’ comme un roman sociologique. L’intrigue est donc ancrée dans la réalité sociale algérienne, et tous les thèmes abordés reflètent des aspects qui traversent la société algérienne.

Pourriez-vous nous parler du personnage principal, Fahla? Quelles sont les qualités et les défis qui la définissent tout au long du récit ?

Fahla est le prénom du personnage principal, mais c’est aussi un qualificatif désignant une femme déterminée, courageuse et loyale. Elle incarne des valeurs de progrès et d’épanouissement pour l’ensemble de la société.

La lutte des femmes contre la marginalisation et le patriarcat est un thème central de votre roman. Quelles sont les motivations derrière cette représentation, et comment espérez-vous qu’elle résonne avec vos lecteurs ?

Le combat des femmes algériennes pour leur émancipation a commencé bien avant la lutte de libération contre le joug colonial. Il est important de lui donner la visibilité qu’il mérite. La motivation principale derrière cette représentation est de parvenir à faire reconnaître ce combat comme une nécessité, à sa juste valeur.

Quels sont les idées majeures que vous souhaitez transmettre à travers ‘‘Fahla’’, et comment se développent-ils dans le récit ?

C’est fondamentalement la lutte du Beau contre la laideur. Au sens métaphorique, mais aussi comme confrontation entre des valeurs sociales et morales. Les «soldats des ténèbres», ces faussaires de la foi, ennemis jurés de Fahla et de ses compagnons, cherchent à obscurcir la société en imposant de fausses valeurs religieuses, assorties d’interdits et de tabous de leur invention.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ‘‘Fahla’’ en utilisant le dialecte algérien plutôt que l’arabe classique ? Quel impact pensez-vous que cela a sur la portée de votre œuvre ?

La langue algérienne n’est pas un dialecte. C’est une langue à part entière, avec sa grammaire, sa syntaxe, sa sémantique et sa personnalité. Écrire en algérien, c’est s’adresser à l’ensemble de la société algérienne, tandis que l’écriture en arabe classique s’adresse à une minorité qui ne l’utilise qu’à des fins officielles, car l’arabe classique est principalement une langue de formalité.

Comment décririez-vous votre style d’écriture dans ‘‘Fahla’’, et en quoi ce style contribue-t-il à l’authenticité et à la force de votre message ?

Mon style dans ‘‘Fahla’’ est le même que dans l’ensemble de mes ouvrages : un style personnel, qui dépasse la rigidité et l’exiguïté linguistique, et qui se caractérise par l’invention et l’usage de néologismes.

Comment votre roman a-t-il été accueilli par le public et les critiques ? Y a-t-il des retours qui vous ont particulièrement marqué ?

‘‘Fahla’’ a reçu un excellent accueil, aussi bien du public que des médias, y compris étrangers, comme BBC News. Mais ce qui m’a particulièrement marqué, c’est l’engouement universitaire et scientifique autour de ‘‘Fahla’’. De nombreuses recensions, des articles dans des revues scientifiques, et même des thèses de master et de doctorat, en Algérie et à l’étranger, ont vu le jour. ‘‘Fahla’’ est devenu un objet d’étude scientifique.

Quel impact espérez-vous que ‘‘Fahla’’ ait sur la perception des droits des femmes en Algérie et sur les discussions autour de la condition féminine ?

Le titre est en lui-même un programme. La réception par les femmes, comme par les hommes en Algérie, a été forte et, bien entendu, cela a contribué à sensibiliser davantage de personnes. Ce qui m’a le plus surpris, c’est l’adhésion à la justesse du combat des femmes algériennes pour l’amélioration de leur condition.

Comment ‘‘Fahla’’ s’inscrit-il dans le paysage littéraire algérien contemporain, notamment par rapport à d’autres œuvres traitant de thèmes similaires ?

Comme je l’ai précisé plus haut, ‘‘Fahla’’ est le premier roman qui s’inscrit dans un cadre brisant le triptyque arabe-français-tamazight, introduisant ainsi une nouvelle langue, celle de l’algérien. Les œuvres traitant de thèmes similaires, comme le combat des femmes algériennes pour leur dignité, n’ont ni la même sensibilité, ni la même lisibilité, ni la même capacité de transmission.

Y a-t-il des auteurs ou des œuvres qui vous ont inspiré dans l’écriture de ‘‘Fahla’’? Et comment ces influences se manifestent-elles dans votre travail ?

À la sortie du roman, une critique littéraire a écrit : «Après ‘‘Nedjma’’, nous avons ‘‘Fahla’’». Je ne suis pas contre cette comparaison, car l’œuvre de Kateb Yacine est, sans conteste, une source d’inspiration. D’autant plus que les deux romans associent l’Algérie aux noms de leurs héroïnes. Beaucoup considèrent que Fahla n’est pas seulement le nom du personnage principal, mais aussi une métaphore pour désigner l’Algérie, en tant que «Blad Fahla», pays d’endurance et de résilience.

Quelle a été votre expérience personnelle en écrivant ‘‘Fahla’’ ? Y a-t-il des moments ou des défis qui vous ont particulièrement marqué ?

Je suis encore étonné par la facilité et la fluidité avec lesquelles le roman a été rédigé en peu de temps, bien que ce soit ma première expérience d’écriture en algérien. Le texte a coulé de source dans les deux graphies, latine et arabe, comme s’il avait mûri pendant des années. Je vis la même expérience avec le second roman, qui est en cours de finalisation.

Quel message ou quelle leçon principale espérez-vous que les lecteurs retiennent de ‘‘Fahla’’ ?

Deux messages. Tout d’abord, contrairement à une opinion largement partagée, la langue algérienne est une langue qui peut s’écrire. Elle n’est ni une darija, ni une âamiya, ni une chafa’hiya (c’est-à-dire une langue uniquement orale).

Ensuite, un personnage féminin avec un nom aussi symbolique est le meilleur moyen d’illustrer le combat de la Beauté contre la laideur, aussi bien à l’échelle des individus qu’à celle de la société dans son ensemble.

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