Le débat s’intensifie en Tunisie autour d’un projet de loi qui donnerait aux huissiers notaires, et non plus aux tribunaux, le pouvoir d’enregistrer les divorces consensuels. Les avocats montent au créneau, mais pas seulement. Les militantes féministes s’inquiètent elles aussi et parlent d’une dérive législative dangereuses pour les droits des femmes. (Ph. manifestation de femmes à Tunis, archives).
La proposition, signée par 101 députés et actuellement examinée par la Commission de législation générale à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), modifierait l’article 32 du Code du statut personnel (CSP) de 1956, pierre angulaire des droits civils en Tunisie.
Les partisans du projet de loi soutiennent que la mesure «simplifiera les procédures» et «allégera la charge des tribunaux», conformément à une réforme plus large de la profession notariale. Mais la société civile, notamment les associations représentant et défendant les femmes, ont réagi avec fermeté.
Risques de pressions sur les épouses
Ainsi, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), bastion historique de la protection des droits des femmes dans le pays, a qualifié le texte de «dangereux pour les droits des femmes» et a appelé à son retrait immédiat, craignant que l’absence de contrôle judiciaire ouvre la voie à des pressions économiques ou sociales sur les épouses et rende plus difficile la protection des intérêts des enfants.
L’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT) est sortie de sa léthargie habituelle pour mettre en garde dans une lettre adressée aux députés : «Le mariage n’est pas un simple contrat privé. Sans le contrôle d’un juge, il porte atteinte à un équilibre laborieusement construit depuis près de soixante-dix ans.»
Porte ouverte aux «divorces éclair»
Le Barreau national a également exprimé un «refus catégorique» de cette réforme, menaçant de recourir à «tous les moyens de protestation» si le parlement procédait au vote, tandis qu’un Comité de surveillance composé de juristes et d’universitaires parle d’une «régression juridique» et du risque de «divorces éclair» non garantis.
Sur le fond, les partisans répondent que la nouvelle procédure ne concernerait plutôt que les cas de plein accord entre les époux et prévoirait le dépôt de l’acte notarié à l’état civil, avec possibilité de recours en cas de litige. La Commission de législation générale du parlement, présidée par le député Yasser Gourari, a déjà entamé des auditions auprès de notaires, de magistrats et d’associations et un rapport technique est attendu d’ici la fin du mois avant le vote à la chambre.
13 000 divorces chaque année
En toile de fond pèse la valeur symbolique du CSP, promulgué par Habib Bourguiba en 1956 et souvent présenté comme le «joyau de la couronne» de la modernité tunisienne : jusqu’à présent, tout divorce – consensuel ou contentieux – nécessite un jugement, avec audience et homologation. Pour l’ATFD et l’UNFT, toucher à ce mécanisme signifierait «porter atteinte à une protection essentielle» au moment même où, rappellent les organisations, les données officielles recensent près de 13 000 cas de dissolution de mariage chaque année.
Le débat s’annonce houleux : tandis que la majorité pro-gouvernementale se déclare prête à «moderniser» la procédure, les organisations féministes annoncent des sit-in et des campagnes de sensibilisation pour défendre «l’unicité du cadre juridique tunisien», à l’avant-garde du monde arabe en matière de protection des droits des femmes.
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