L’affaire Dali Rtimi et la crise environnementale de Gabès

Le jeune militant écologiste Dali Rtimi (R’timi) risque jusqu’à 10 ans de prison après avoir été arrêté, le 23 mai 2025, lors d’une manifestation pacifique contre la pollution industrielle à Gabès, dans le sud du pays, organisée par le collectif Stop Pollution. Cette affaire remet la crise environnementale de Gabès au centre du débat national en Tunisie.

Imed Bahri

Après l’émission, le 26 mai, d’un mandat de dépôt à son encontre, ainsi qu’à l’encontre de deux autres activistes, Rtimi est désormais accusé de multiples chefs d’accusation, notamment d’agression contre un agent de la fonction publique – une infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison en vertu de l’article 127 du Code pénal – ainsi que de rébellion et de constitution d’un groupe criminel.

Les groupes de défense des droits humains affirment que ces accusations sont motivées par des considérations politiques et visent à faire taire la dissidence.

Rtimi aurait tenté de protéger d’autres manifestants lorsque la police est intervenue violemment. Lui et deux autres personnes ont été frappés sur place, puis au poste de police, selon l’Association Intersection pour les droits et les libertés.

«Ils ont subi de nouvelles violences physiques et psychologiques», a déclaré Rami Ben Salah, porte-parole de l’association à The New Arab. Et d’ajouter : «Ils se sont également vu refuser l’accès à un avocat, ce qui constitue une violation flagrante de la loi n° 5 de 2016.»

«Le corps du jeune homme porte des traces visibles de coups», a déclaré le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT) dans un communiqué, dénonçant ce qu’il a qualifié de «tentative de masquer les abus policiers et de criminaliser l’activisme».

Les avocats affirment avoir été harcelés alors qu’ils tentaient de défendre les militants. D’autres sympathisants venus à Gabès en signe de solidarité ont été arrêtés et fouillés, certains étant interrogés pour avoir porté des pancartes de protestation dans leurs voitures, selon des associations locales.

Les arrestations ont ravivé la colère à Gabès, ville côtière souvent décrite comme la zone de sacrifice environnemental de la Tunisie.

La méfiance croissante du public

La manifestation du 23 mai s’inscrivait dans le cadre de nombreuses actions menées par la jeunesse locale exigeant la démolition des usines industrielles toxiques du Groupe chimique tunisien (GCT), une entreprise publique.

Les habitants affirment que les unités de traitement du phosphate contaminent l’air, la mer et les sols de la ville depuis des décennies.

L’industrie du phosphate a longtemps été un pilier de l’économie tunisienne post-indépendance, mais à Gabès, le coût est exorbitant.

Les habitants signalent des taux élevés de cancer, d’infertilité et de maladies respiratoires, ainsi que l’effondrement des écosystèmes marins et la perte de moyens de subsistance traditionnels comme la pêche et l’agriculture.

«Juste vivre sans être empoisonnés»

Le mouvement Stop Pollution est né après la révolution de 2011, porté par une jeunesse désillusionnée face à la crise écologique que traverse le pays.

En 2017, le gouvernement s’était engagé à délocaliser les installations les plus dangereuses hors de la ville, mais ce projet n’a jamais été concrétisé.

Une explosion meurtrière dans une usine d’asphalte en 2021, qui a tué six ouvriers, a encore accru la méfiance du public, notamment après la révélation du stockage de nitrate d’ammonium – le même produit chimique à l’origine de la catastrophe du port de Beyrouth – à proximité de zones résidentielles.

De nouveaux projets industriels, notamment une usine d’ammoniac et une initiative pour l’hydrogène vert, ont suscité de nouvelles craintes.

Bien que présentés comme faisant partie de la transition énergétique verte de la Tunisie, les militants avertissent qu’ils risquent de reproduire le même modèle : des projets extractifs imposés aux communautés vulnérables sans consultation ni garanties environnementales.

«Nous voulons juste vivre sans être empoisonnés», scandaient les manifestants la semaine dernière à Gabès.

Dans un pays en proie à l’inflation, au chômage et à l’autoritarisme, la crise environnementale de Gabès a rarement fait la une des journaux nationaux.

Pourtant, pour les associations de défense des droits humains, ces arrestations s’inscrivent dans une répression plus large de la dissidence.

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