En Syrie, la guerre contre le Captagon est loin d’être gagnée

Durant la guerre civile syrienne et avec la multitude des sanctions internationales et afin de maintenir son régime financièrement viable, Bachar Al-Assad a transformé la Syrie en narco-État. Le pays est devenu une immense usine de Captagon. Au lendemain de sa chute, des laboratoires de fabrication de cette drogue ont été découverts et filmés dans des sites militaires mais aussi dans des propriétés appartenant à son frère Maher qui chapeautait le trafic.

Imed Bahri

Le Captagon a inondé la Syrie et tout le Moyen-Orient et empoisonné les relations d’Assad avec les pays arabes. C’était l’une des principales raisons de la lassitude de ces pays à l’endroit de son régime qui lui avaient demandé que le trafic cesse mais il avait laissé faire. Huit mois après la chute du régime, l’empire de la drogue légué par Bachar Al-Assad joue sa survie. 

Aujourd’hui, bien que le pays soit en gestation, les nouvelles autorités qui ont d’excellentes relations avec les autres pays de la région, mènent une guerre contre cette drogue. Le Financial Times (FT) a consacré une enquête à cette guerre qui montre que la filière a subi de sérieux revers mais elle est confrontée aux aléas de la réalité syrienne tels que la corruption endémique ou bien la difficulté du nouveau pouvoir à contrôler l’ensemble du territoire. 

Par une froide soirée d’hiver de décembre dernier, Ahmed –pseudonyme d’un ancien soldat syrien– déambulait incognito dans les ruelles de Damas. À ce moment-là, le régime sous lequel il avait servi s’était brutalement effondré et les rebelles armés qu’il redoutait depuis longtemps étaient entrés dans la capitale et avait renversé le président Bachar Al-Assad.

L’un des plus grands foyers de drogue au monde

Selon son récit, rapporté par le FT, Ahmed aurait retiré son uniforme militaire pour se déguiser et avalé la moitié d’une pilule de Captagon, comme il l’avait fait des centaines de fois lors de moments de tension. Il aurait dit avec un sourire ironique que cela lui avait donné l’illusion d’avoir l’énergie et le courage d’affronter n’importe quel rebelle. 

Cette pilule n’était pas seulement un moyen de fuir la réalité mais plutôt le reflet de l’héritage du régime qui a dirigé la Syrie pendant longtemps.

La journaliste Raya Jalabi rapporte dans son enquête menée essentiellement à Damas, Soueida et Deir Ezzor qu’en 14 ans de guerre, Assad a transformé son pays en l’un des plus grands foyers de drogue au monde, la production de Captagon étant à elle seule évaluée à 5 milliards de dollars par an.

L’usage de la drogue ne se limitait pas au trafic, elle a même atteint l’armée elle-même, les commandants distribuant gratuitement les pilules aux soldats ou les mélangeant à du thé et des gâteaux avant les combats pour lutter contre la faim et l’insomnie. 

Toutefois, depuis ce jour de décembre, la Syrie a connu une transformation spectaculaire, représentée par une guerre globale contre la drogue menée par le nouveau président, Ahmed Al-Charaa, qui cherche à démanteler l’empire laissé par Assad.

Selon le FT, Al-Charaa a promis que l’un de ses combats les plus importants serait de «purger la Syrie de la drogue». Il s’est tenu devant la mosquée des Omeyyades à Damas pour déclarer que «la Syrie était une importante usine de Captagon, et aujourd’hui, par la grâce de Dieu, elle est en cours de purge».

Une campagne acharnée a effectivement été lancée, aboutissant à la confiscation de 200 millions de comprimés entre janvier et août 2025, soit 20 fois la quantité confisquée l’année précédente, selon le FT, citant le New Lines Institute, un groupe de réflexion américain basé à Washington.

La production et le trafic de drogue en Syrie ont chuté jusqu’à 80% après des raids visant des laboratoires de Captagon dans des bastions de l’ancien régime et la destruction de millions de comprimés, selon des informations citées par l’enquête auprès de trafiquants de drogue, de responsables de la sécurité, de responsables locaux et de chercheurs.

Les laboratoires qui se trouvaient dans l’aéroport militaire de Mezzeh et des villas appartenant à Maher Al-Assad et à ses hommes ont également été détruits.

Des milices armées continuent d’exploiter des réseaux de Captagon

L’enquête précise qu’il est bien plus facile de lancer une guerre contre la drogue que de la gagner. Malgré le ralentissement de la production de drogue, producteurs et trafiquants continuent d’échapper aux arrestations, exploitant le vide sécuritaire dans les zones que le nouveau gouvernement ne parvient toujours pas à contrôler.

Un responsable du ministère de l’Intérieur à Deir Ezzor a déclaré au journal britannique que la plus grande menace n’est plus l’EI mais les milices armées qui continuent d’exploiter des réseaux de Captagon. Il a ajouté: «Dans chaque usine de captagon que nous attaquons, nous trouvons un arsenal d’armes».

Dans le sud, près de la frontière jordanienne, le trafic de Captagon s’est poursuivi par l’intermédiaire de réseaux liés à l’ancien régime. Ces réseaux ont survécu grâce à leurs activités dans des zones échappant au contrôle du gouvernement.

Des pilules sont toujours introduites en contrebande de l’autre côté de la frontière grâce à des méthodes innovantes, notamment des drones et même des ballons télécommandés.

Bien que les tentatives de contrebande aient considérablement diminué, la pauvreté a facilité le recrutement de jeunes hommes comme passeurs, facturant des milliers de dollars pour transporter un sac de 30 kilos de pilules.

Des garde-frontières complices ferment les yeux

Selon le FT, certains gardes-frontières syriens connus pour accepter des pots-de-vin sont restés en poste en raison d’une pénurie de personnel. Un ancien passeur a déclaré au journal : «Nous connaissions les gardes complices et nous n’avons eu affaire qu’à eux. Ils sont toujours en poste à la frontière et ferment les yeux»

Des failles sont suspectées au sein des unités antidrogue. Un officier de Qalamoun a déclaré au journal qu’il n’avait pas pu arrêter un important trafiquant qui avait transféré ses usines au Liban car il avait reçu des avertissements avant chaque raid.

Loin de la frontière, les Syriens continuent de payer le prix de l’empire de la drogue créé par Al-Assad. Le pays ne compte que quatre centres de traitement des addictions, tandis que les hôpitaux ne dispensent généralement que deux semaines de traitement initial, sans programme de réadaptation.

Le docteur Ghamdi Far’al, directeur de l’hôpital Ibn Rushd de Damas, a déclaré: «Les ressources existantes sont totalement insuffisantes pour faire face à l’ampleur du fléau en Syrie mais l’État a du mal à se le permettre»

Le Captagon devenant rare et coûteux, beaucoup se sont tournés vers des alternatives plus dangereuses et moins chères comme la méthamphétamine (crystal meth). Parmi eux figure l’ancien soldat syrien Ahmed, dont la consommation de crystal meth lui a fait perdre plusieurs dents. Ahmed a déclaré au FT : «Le message du nouveau gouvernement est clair : la drogue ne sera pas tolérée dans la nouvelle Syrie. Mais après tout ce que nous avons traversé, cela ne suffit pas à nous dissuader».

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