En Tunisie, l’accès au logement individuel est devenu un véritable casse-tête. Derrière l’illusion de liberté et d’initiative, gouvernants, promoteurs et citoyens se livrent à un véritable jeu de cache‑cache. Le résultat ? Une urbanisation chaotique et une flambée des prix qui rend le logement inabordable pour la majorité.
Ilyes Bellagha *

Le Plan d’aménagement urbain (PAU) est régulièrement ignoré. Cette tolérance n’est pas toujours due à l’incapacité : elle est parfois préméditée. Les autorités ferment les yeux sur les dérogations, feignant d’être dépassées. Chaque construction hors cadre crée une rareté artificielle du foncier régulier et ouvre la porte à la spéculation.
Une flambée des prix inévitable
Du côté des promoteurs et des particuliers, les cahiers de charges sont souvent trop lourds et coûteux. On les contourne ou on les applique en répercutant les coûts sur les acheteurs. Le mètre carré atteint ainsi des prix records, sans garantie de qualité ni de respect des normes.
Ce double jeu – tolérance de l’État et contournement des règles par les acteurs privés – conduit mécaniquement à l’augmentation des prix. Le logement devient inaccessible pour les jeunes générations, et même ceux qui réussissent à acheter paient le prix fort.
Le désordre alimente la hausse des prix
Cette situation à des causes :
– rareté artificielle du foncier : les terrains régularisés deviennent rares, alimentant la spéculation ;
– coûts de construction gonflés : cahiers des charges lourds et contournements répercutés sur le prix final.
– marché parallèle : l’auto-construction hors normes fragilise le marché officiel et dérègle les prix.
– coûts invisibles de la ruse : corruption, frais informels, lenteurs administratives, risques juridiques… augmentent le prix du logement.
Une spirale qui touche tout le secteur
Le non-respect du PAU, les cahiers de charges intenables et l’auto-construction anarchique ne se limitent pas aux logements individuels. Ce processus en chaîne influence directement les prix des matériaux et de la main-d’œuvre, ce qui fait que l’ensemble du secteur de la construction est touché. Les promoteurs immobiliers répercutent ces coûts supplémentaires, les entrepreneurs ajustent leurs tarifs, et les citoyens paient le prix fort.
Même les bâtiments publics ne sont pas épargnés : les retards, les surcoûts et les contournements des règles impactent les infrastructures scolaires, sanitaires ou administratives, aggravant le déficit d’urbanisation planifiée et alourdissant le budget de l’État.
En d’autres termes, la ruse collective et le non-respect des règles créent un effet domino qui fait grimper les coûts dans tout le secteur, rendant le logement et l’aménagement urbain de plus en plus inaccessibles et inefficaces.
Contrairement aux apparences, personne ne gagne vraiment : la ruse du citoyen, du promoteur, comme celle du gouvernant, se retourne contre tous. Résultat : un logement plus cher, une urbanisation chaotique, et un pays qui paie le prix fort.
Rompre le cercle vicieux
Quelques pistes pour sortir de cette spirale :
– un État régulateur transparent, qui contrôle le respect du PAU et n’instrumentalise plus le désordre;
– des règles réalistes, adaptées aux capacités des promoteurs et des ménages ;
– et une confiance reconstruite, pour rendre le logement accessible, durable et socialement apaisé.
* Architecte.
Donnez votre avis