Publié aux éditions Hkeyet à Tunis, ‘‘Sangoma, le guérisseur’’ a été présenté ces dernières semaines à Tunis lors d’une série de rencontres publiques, à l’Institut Français de Tunisie, à la librairie Mille Feuilles – La Marsa, puis à Al-Kitab – Mutuelleville. Autant de moments de partage intenses avec les lecteurs autour d’un livre né du croisement entre la médecine, la fatigue, le burn-out et le besoin de transformation intérieure. L’auteur de ce roman, médecin de son état, parle de son expérience avec ce premier roman.
Dr Hichem Ben Azouz *
J’ai écrit ‘‘Sangoma’’ comme on traverse un continent. Le roman est né en Afrique du Sud dans les couloirs d’un hôpital, Entre deux patients, au contact du silence, de la mort et de l’épuisement des soignants. Puis il est devenu, page après page, une traversée initiatique de Cap Angela en Tunisie à Cape Agulhas en Afrique du Sud, les points les plus éloignés du continent africain, décrite ici comme une blessure vivante, pour raconter la chute d’un jeune médecin tunisien qui fuit son propre épuisement, son pays et cherche, au-delà du désespoir, une forme de guérison.
Ce voyage à travers l’Afrique est autant géographique qu’intérieur. Il questionne la frontière entre soigner et se soigner, entre chuter et renaître.
Soigner et se soigner, chuter et renaître
Le roman s’inscrit dans ce que Carl Gustav Jung appelait «le mythe du soignant blessé», cette idée que celui qui soigne les autres porte souvent en lui sa propre blessure, et que c’est en la traversant qu’il apprend à guérir les autres.
‘‘Sangoma’’ est un roman de la fracture, mais aussi de la transmutation. Il plonge dans la fêlure du corps médical et dans celle du monde, tout en cherchant un autre souffle qui relie et réinvente le soin quand tout semble perdu.
Le livre s’inspire de la médecine narrative (Rita Charon), de la pensée décoloniale (Frantz Fanon), et de la sagesse africaine du Ubuntu. Les tambours africains y résonnent avec le jazz de Abdullah Ibrahim. Les morts y parlent encore, comme chez Toni Morrison. Et la lumière surgit souvent au milieu des ténèbres.
«Il y a une fracture dans tout homme exilé. Mais après la chute, cette fracture peut devenir souffle. Et ce souffle, un nom qui revient.» Ce mantra traverse tout le roman. Il dit qu’il est possible de renaître de la chute, de transformer l’épuisement en lumière. À travers Slim, le médecin protagoniste, ‘‘Sangoma’’ parle de tous ceux qui tombent, soignants, artistes, exilés et qui cherchent encore à tenir debout.

Épuisement et fuite des médecins
Lors des rencontres à Tunis, beaucoup de médecins et de soignants présents ont évoqué, avec émotion, leur propre lassitude, leur sentiment d’être à bout de souffle dans un système de santé sous tension. Certains y ont reconnu la métaphore de leur vie quotidienne. Celle d’une vocation qui vacille entre épuisement, désenchantement et exil.
Aujourd’hui, alors que de nombreux médecins tunisiens et africains quittent leur pays, ‘‘Sangoma’’ résonne comme une parabole sur ce mal du soin. Comment continuer à soigner dans un monde qui ne soigne plus ses soignants ?
Les rencontres autour du roman ont montré que ‘‘Sangoma’’ touche un public large. Des médecins, lecteurs, étudiants, écrivains, mais aussi des personnes simplement sensibles à la fatigue du monde. Chaque échange a confirmé qu’il ne s’agit pas d’un roman médical, mais d’une quête humaine et poétique, universelle dans son désarroi et son espérance. À la librairie Mille Feuilles, les lecteurs ont parlé d’un «livre qui brûle et apaise à la fois». À Al-Kitab, un lecteur a parlé d’un «voyage intérieur et africain, d’une beauté troublante».
Plus qu’une fiction, ‘‘Sangoma, le guérisseur’’ est une invitation à repenser le soin, non comme un acte technique, mais comme une traversée du corps et du monde. C’est aussi un hommage aux soignants, aux patients, à l’Afrique, à ses langues, à ses paysages, à ses guérisseurs, et à la mémoire qu’ils portent. Et au-delà, une méditation sur la chute et la transformation personnelle, collective, spirituelle.
* Médecin, écrivain et cinéaste (Johannesburg- Tunis)
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