Avec Gaza presque entièrement détruite et inhabitable, Israël ne peut plus prétendre qu’il ne vise pas le nettoyage ethnique. La communauté internationale peut-elle continuer son hypocrisie et son favoritisme envers Israël ? (Illustration : Manif contre la guerre israélienne à Gaza, le 3 février 2024, à Paris –Photos Abdellatif Ben Salem).
Par Marwan Muasher *
L’Occident n’a aucun problème à ignorer toutes les violations israéliennes du droit international et des droits de l’homme tant qu’elles répondent aux désirs déclarés ou cachés de ses décideurs.
Peut-être qu’Israël a réussi dans le passé à se présenter comme «la seule démocratie de la région», et qu’elle seule porte l’étendard des valeurs démocratiques libérales, c’est pourquoi l’Occident doit le soutenir politiquement et matériellement car il défend ses valeurs dans une région dominée par des valeurs autoritaires. Mais le succès d’Israël n’est pas dû uniquement à sa puissance médiatique ou à ses valeurs «démocratiques».
L’Occident, pour des raisons religieuses et culturelles, outre l’Holocauste perpétré par l’Allemagne nazie et le sentiment de culpabilité qui en a résulté, a voulu se convaincre des affirmations israéliennes qui ne devraient pas avoir de place aujourd’hui après les guerres que l’Etat hébreu a menées et continue de mener contre le peuple palestinien, ce qui pourrait lui valoir d’être accusé de génocide par la plus haute autorité judiciaire internationale.
Israël pratique la démocratie uniquement avec ses citoyens juifs
L’Occident a voulu ignorer le fait sans ambiguïté qu’Israël pratique la démocratie uniquement avec ses citoyens juifs, tandis que ses citoyens arabes, les habitants autochtones du pays, sont légalement et dans la pratique discriminés, ce qui est la définition juridique de l’apartheid.
L’Occident a voulu ignorer que cet État «démocratique» est un État occupant et que son occupation est la plus longue de l’histoire moderne, qu’Israël n’applique pas le droit international aux territoires occupés et qu’il construit des colonies en violation et au mépris flagrants du droit international. L’Occident a voulu ignorer tout cela, et la question aujourd’hui est pourquoi ?
La réponse peut être liée à la vision raciste de l’Occident à l’égard des Arabes et des musulmans. Pour l’Occident, Israël représente la première ligne de défense contre une culture dont il ne veut pas. Ce fait est devenu évident après la ligne dure adoptée par l’Occident contre la migration des Arabes d’Afrique du Nord vers l’Europe et contre la migration des Syriens vers l’Europe et l’Amérique, contrairement à l’accueil réservé aux réfugiés ukrainiens, par exemple.
Israël a réussi à présenter implicitement sa position anti-arabe et anti-palestinienne comme étant conforme à la position occidentale contre la culture de la région et contre l’immigration en provenance de celle-ci. Pour cette raison, l’Occident n’a aucun problème à ignorer toutes les violations israéliennes du droit international et des droits de l’homme tant qu’elles répondent aux désirs déclarés ou cachés des décideurs occidentaux.
Cette fausse image de la démocratie israélienne a commencé à se désintégrer avec l’arrivée au pouvoir de la coalition raciste israélienne de droite dirigée par Netanyahu, en particulier après sa tentative de saper le système judiciaire israélien et de porter atteinte au principe et au système de séparation et d’équilibre des pouvoirs, qui constitue la base de la démocratie empêchant la domination d’un pouvoir sur un autre.
Les fausses critiques occidentales envers le gouvernement israélien
L’Occident s’est soudain retrouvé face à un Etat israélien dans lequel certains Juifs s’attaquent à d’autres juifs, sapant ainsi la raison déclarée ou cachée des faveurs dont jouit Israël auprès de l’Occident.
Les Palestiniens, d’un point de vue individuel ou culturel, n’ont rien à voir avec l’attaque continue contre les valeurs démocratiques en Israël, que l’Occident prétend soutenir. Les critiques actuelles de l’Occident à l’égard du gouvernement israélien dirigé par Netanyahu ont continué à être exprimées timidement et avec un certain inconfort, malgré la présence d’éléments au sein du gouvernement israélien, tels que Ben Gvir et Smotrich, qui défendent des idées ouvertement racistes et antidémocratiques. Par conséquent, ces critiques ne constituent pas un changement de politique ou de position vis-à-vis d’Israël, car la raison sous-jacente du soutien de l’Occident [à l’Etat hébreu] n’a pas changé.
Le 7 octobre est venu «soulager» l’Occident officiel de son dilemme, en rétablissant l’image stéréotypée dominante d’Israël dans son imaginaire. Voilà qu’Israël est une fois de plus exposé à une attaque «barbare», et le voilà encore une fois «se défendre de manière légitime», et voici la démocratie libérale en confrontation avec l’extrémisme religieux !
À mon avis, ce sont là les véritables raisons sous-jacentes du soutien occidental à Israël, et ce sont des raisons qui n’ont pas été ébranlées jusqu’à récemment par toutes les violations israéliennes au fil des décennies, de l’occupation de la Palestine à la guerre contre Gaza.
Afin de préserver la «pureté» des sociétés occidentales, l’ampleur de toute agression israélienne, de tout apartheid et même de tout génocide est minimisée tant que la victime est palestinienne ou arabe.
Egalité des droits contre fausse démocratie
Mais la réalité de la situation indique que cette fausse image exagérée d’Israël ne peut pas être éternellement préservée. Après le meurtre de plus de vingt-sept mille civils palestiniens, pour la plupart des femmes et des enfants, Israël ne peut continuer à invoquer la légitime défense sans montrer clairement la faiblesse de cet argument. Avec Gaza presque entièrement détruite et inhabitable, Israël ne peut pas prétendre qu’il ne vise pas le nettoyage ethnique.
La communauté internationale pourrait-elle continuer son hypocrisie et son favoritisme envers Israël ?
Peut-être que l’Occident officiel pourra-t-il continuer de soutenir Israël pendant un certain temps, mais une grande partie de sa nouvelle génération, qui prend la question des droits des Palestiniens plus au sérieux et sans la dissimuler sous des raisons devenues fallacieuses, a commencé à agir et à s’opposer. Et voilà que la Cour internationale de Justice, la plus haute autorité judiciaire du monde, accuse Israël de génocide dans une démarche sans précédent.
L’Occident ne pourra pas soutenir indéfiniment l’extrémisme religieux israélien, le racisme israélien et l’occupation israélienne. Le monde change et évolue dans une direction complètement opposée à celle que prend Israël, qui est outrancière dans son racisme, son extrémisme et son inhumanité. Un jour viendra où la prochaine génération se rangera davantage du côté de l’égalité des droits que de la fausse démocratie.
Traduit de l’arabe.
Source : Al-Quds.
* Ancien ministre jordanien des Affaires étrangères.
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