Dans ses chroniques politiques, sociologiques et culturelles, Jamila Ben Mustapha est, à sa manière, avec son style sobre et juste et ses mots précis, une historienne de l’instant.
Latif Belhedi
Détentrice d’une triple maîtrise de philosophie, de psychologie et de littérature française Jamila Ben Mustapha, en plus d’une carrière d’enseignante universitaire couronnée par deux ouvrages sur Proust, s’est essayée à l’essai en publiant ‘‘Promenades mentales’’ (éd. Arabesques, 2011) et au roman avec ‘‘Ruptures’’ (éd. Déméter, prix Comar Découverte en 2017). Elle s’est aussi illustrée comme critique culturelle, analyste politique et chroniqueuse du quotidien, et a publié de nombreux reportages et récits de voyages.
Femme de réflexion, sa curiosité ne résiste à aucun aspect du réel qu’elle scrute, interroge, ausculte, décortique et tente de comprendre en recourant au seul exercice qui lui permet de déployer sa sensibilité de femme et son intelligence d’intellectuelle engagée : l’écriture, encore et toujours, un troisième poumon qui lui permet de respirer et de vivre. Plus qu’un engagement, l’écriture est pour elle un sacerdoce, une religion.
Avec son dernier livre ‘‘Chronique de la transition démocratique (2012-2022)’’ récemment publié aux éditions Arabesques à Tunis, elle regroupe ses articles et tribunes publiés dans Kapitalis pendant une dizaine d’années, sur une transition politique trouble et poussive qui a vu le pays passer d’une révolution progressiste rêvant de faire table-rase du passé à la restauration d’un ordre passé, autoritaire et conservateur.
«Il s’agit de tribunes développant un point de vue sélectif sur les événements du pays car elles commentent seulement ceux qui m’ont interpellée et à propos desquels j’ai pensé avoir quelque chose à dire : c’est pour cela que leur fréquence est très irrégulière», explique l’auteure dans la préface, en confirmant avoir substantiellement remanié certains textes pour mieux les conformer à sa pensée ?
Pour faciliter la lecture (et éventuellement aussi le travail d’éventuels historiens), Jamila Ben Mustapha a classé ses articles selon leur ordre chronologique de parution, faisant se succéder, dans le livre comme dans la vie réelle, analyse politique, réflexion sociologique, critique littéraire ou récit de voyage : Iran, Ouzbékistan, Inde. C’est ainsi que l’on se remémore avec l’auteur des événements qui nous ont marqués sinon choqués, des figures qui nous sont devenues familières : Chokri Belaïd, Moncef Marzouki, Bendir Man, Abir Moussi, Kaïs Saïed et d’autres.
Ces articles portent la date de leur parution, mais aussi l’empreinte de l’instant où ils ont été sentis et écrits. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, des choses ont changé entretemps, mais ces textes gardent tous leur vérité, la vérité de l’instant qui les a vus naître et celle des sujets, des êtres et des événements qui les ont inspirés.
Albert Camus, qui a allié avec bonheur lui aussi écriture littéraire et journalisme, écrivait : «Le journaliste est l’historien de l’instant». Sans être journaliste, Jamila Ben Mustapha est, à sa manière, avec son style sobre et juste et ses mots précis, une historienne de l’instant.