Né en 1944 dans le Finistère, en Bretagne, Paol Keineg est poète, dramaturge et universitaire français.
Après des études en Bretagne, il s’installe aux Etats-Unis où il enseigne à l’Université. Il revient vivre en Bretagne après de longues années d’exil.
Voix rebelle et contestataire, sa poésie est un repère pour les années de luttes sociales et politiques en Bretagne.
Il publie en 1969 Hommes liges des talus en transes. Son Poème du pays qui a faim a été réédité plusieurs fois.
Tahar Bekri
…
non
il n’y aurait pas de place pour un seul mot
entre mes champs de blé et mes moissons
d’angélus
entre le rire de mes enfants et la corolle des
ruisseaux
entre la laine du crépuscule et l’échelle des
heures
tu offres tes brunes épaules d’épis mûrs
à la lèpre amère des orties
et tu jettes aux fontaines incandescentes
l’éclat neuf de ton corps pubère
ah ! je ne sais rien encore
de ce pays dévertébré
où les chevaux et les vaches de toutes les
couleurs ont dans les champs
des embardées agiles et gourmandes
je ne sais rien de la rosée ni du crachin ni des
craches que déposent les coucous en bulles
blanches sur les genêts immobiles
je ne sais rien des profondes mantes noires
que portent les femmes aux premiers jours
de novembre parmi les maisons basses
je ne sais rien des toits crevés des sols humides
et glissants de la toux osseuse dans l’escalier
je ne sais rien des barreaux manquants de
l’échelle de la haute solitude de l’épervier
du hibou crieur de la nuit
je ne sais rien encore de la splendeur de nos
visages ni de nos rires robustes
mais je connais par cœur les méandres passionnés
nés des veines du cou ceux du poignet
mes entrelacs paradisiaques de nos mains au fil
de l’eau le cours abandonné de nos paysages d’argile
(extraits)
‘‘Hommes liges des talus en transes’’, Pierre Jean Oswald, 1969.