Exposition : Amine Inoubli inscrit l’éphémère dans l’éternité

L’exposition ‘‘En suspens’’ de Amine Inoubli s’est ouverte avant-hier, vendredi 24 janvier 2025, à Elmarsa Gallery. Elle se poursuivra jusqu’au 28 février 2025. Le peintre pose un regard doux sur des fragments de vie trop souvent oubliés.

Manel Albouchi *

Il est des regards qui transforment. Qui prélèvent, dans la banalité crue du réel, des éclats d’éternité. Celui d’Amine Inoubli est de ceux-là. Ses toiles ne s’explosent pas, elles se murmurent. Elles se posent comme une lumière douce sur des fragments de vie trop souvent oubliés.

Une pelle appuyée contre un maçon, un matelas à l’agonie, des câbles suspendus dans l’indifférence d’un vent absent. Ce n’est pas la réalité qu’il peint, mais son âme. Rien n’est futile, tout est sacré.

Dans l’univers d’Inoubli, les objets ne servent plus : ils se tiennent droits, fiers, presque solennels. Le panneau indicateur, penché comme un vieillard, ne guide plus. Il repose. Le maçon n’est plus qu’un fragment de ce monde dur, l’épaule collée à sa pelle comme un compagnon d’armes.

Inoubli ne peint pas le travail, mais l’arrêt, ce moment suspendu où les choses existent pour elles-mêmes.

Ce choix esthétique, loin de nous laisser indifférents, devient une quête : celle d’inscrire l’éphémère dans une dimension d’éternité.

En psychanalyse, comme dans l’art, les objets ne sont jamais anodins. Ils portent des significations enfouies, des fragments de vécu que l’artiste met en lumière.

Un monde sans hiérarchie

    Dans ses toiles, il n’y a pas de héros. Pas de personnages centraux. L’humain ne domine pas. Une femme vue de dos n’a pas plus d’importance qu’un fragment de mur en construction. Ce n’est pas une déchéance, mais une justice. Tout se tient. Tout a sa place.

    Inoubli semble nous dire qu’il n’existe pas de hiérarchie dans le réel, seulement un équilibre que nous ne savons plus voir. Gaston Bachelard disait : «Il n’y a pas de banalité. Il n’y a que des regards appauvris.» Mais chez Inoubli, le regard ne s’appauvrit jamais. Il révèle, il élève. L’éloge du silence et du vide

    Le silence, dans l’œuvre d’Inoubli, est un espace où les objets existent sans besoin d’être compris. Un monde qui refuse de se plier à nos attentes. Ce vide, perçu comme une instabilité, se traduit par un panneau indicateur penché, un matelas usé, des câbles suspendus. Ces éléments renvoient à une forme de déclin, mais ce déclin n’est pas une fin. C’est un instant figé avant la chute, une hésitation qui révèle la vérité profonde des choses. Dans ses toiles, le vide n’est jamais absence. Il est un souffle, une attente. Que faisons-nous de cet espace? Pourquoi le remplissons-nous d’angoisse, de bruit, de gestes inutiles? L’éphémère devient prière

    Amine Inoubli peint l’objet, mais pas ce qui l’entoure. Il nous offre alors l’éternité d’un hors-temps, un moment suspendu où chaque chose devient une prière muette. Le panneau penché, le matelas épuisé, la corde qui ploie sous le poids des câbles… Tous ces éléments s’inscrivent dans une temporalité qui n’est ni passé ni futur, mais un éternel présent. Dans ce geste, il y a une révolte douce, une révolte contre la vitesse, contre l’éphémère, contre l’oubli. Camus disait : «Il y a toujours un moment où nous devons choisir entre contempler et agir.» Inoubli nous force à choisir la contemplation, et c’est là tout son courage.

    La beauté de l’effacement

    Et pourtant, ce monde suspendu n’est pas figé. Un détail glisse d’une toile à l’autre, comme une brise qui traverse des champs séparés.

    L’œuvre d’Inoubli est toujours en devenir, comme la vie elle-même.

    Dans cette simplicité, il y a un écho puissant à l’amour, celui qui transcende la condition humaine.

    Amine Inoubli nous rappelle que l’éternité n’est pas un ailleurs, mais un ici. Que l’art n’est pas une fuite, mais un retour. Ses toiles ne peignent pas seulement le silence, elles le rendent audible. Elles nous murmurent que tout est là, juste là, sous nos yeux, prêt à être vu. Prêt à devenir sublime.

    * Psychologue, psychanalyste.

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