Pourquoi la Syrie est-elle le nouveau casse-tête d’Israël?

Ce n’est plus le sud du Liban qui est le principal défi stratégique pour Israël mais la Syrie. Avec un nouveau pouvoir à Damas aux relations très fortes et très étroites avec la Turquie, les Israéliens voient que la défunte tutelle iranienne a été vite remplacée par une autre turque. De plus, l’avenir de la question kurde dans la région et un potentiel désarmement forcé des Kurdes syriens dicté par la conjoncture géopolitique ne fera qu’accentuer la mainmise d’Ankara et fera davantage de la Syrie son arrière-cour.

Imed Bahri

Le journal israélien Haaretz considère que la Turquie a transformé la Syrie en protectorat après la chute du régime du président Bachar Al-Assad et qu’elle cherche à en faire une sphère d’influence stratégique ce qui signifie fermer l’espace aérien syrien à Israël si la Turquie prenait son contrôle à la place des Russes.

L’éditorialiste Zvi Bar’el explique que l’annonce historique du leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdallah Öcalan, dans laquelle il appelait son parti à déposer les armes et à se dissoudre, peut être le début d’un changement dramatique dans l’équilibre des forces en Syrie et affecter la position régionale de la Turquie, en plus du fait que cela peut être renforcé par le retrait des forces américaines du territoire syrien ce qui constitue un défi à la présence israélienne dans le sud de la Syrie.

Bien que ce ne soit pas la première fois qu’Öcalan réponde à une initiative turque d’ouvrir des négociations et de procéder à un processus de réconciliation historique entre la Turquie et le mouvement séparatiste, l’appel était cette fois plus extrême puisqu’il exige que l’organisation dépose les armes et cesse d’exister.

Cependant, la décision prise par la direction du groupe samedi dernier d’adopter partiellement la déclaration d’Öcalan et un cessez-le-feu immédiat ne suffit pas à prouver une volonté de démanteler son cadre organisationnel en activité depuis plus de quatre décennies ni n’indique son désarmement mais c’est une première étape nécessaire pour entrer dans des négociations politiques pleines d’obstacles et dont on ne sait pas si elles aboutiront.

La Syrie, zone d’influence de la Turquie

Il ne fait aucun doute que la fin du long conflit qui a fait plus de 40 000 morts est dans l’intérêt des Kurdes et de la Turquie dirigée par Recep Tayyip Erdogan. Les développements régionaux depuis le 7 octobre 2023 ont montré la nécessité de parvenir à un accord entre les deux parties avec de meilleures chances de succès.

En effet, la Turquie qui s’est rapidement positionnée comme État parrain de la Syrie après la chute d’Al-Assad voit bien que son rôle ne se limite pas à être un partenaire de premier plan dans le vaste projet de reconstruction de la Syrie. Le président Erdogan considère que son voisin du sud fait partie intégrante de sa sphère d’influence régionale stratégique après le retrait de l’Iran.

Toutefois, Haaretz estime que pour récolter des gains diplomatiques et militaires en Syrie, la Turquie doit aider le nouveau président syrien Ahmed Al-Charaa à établir un État unifié avec une armée nationale pour remplacer les dizaines de milices encore actives dans le pays, en particulier les Forces démocratiques syriennes (les Kurdes du FDS) au nord et les forces druzes au sud car elles menacent le processus d’intégration politique et militaire.

Dans les deux régions, il y a aussi des forces étrangères, turques au nord, et israéliennes qui ont pris le contrôle de plusieurs zones au sud ce qui signifie que la Turquie est tenue de retirer ses forces de Syrie pour ne pas être considérée comme un État occupant et en même temps elle doit contrecarrer toute possibilité d’établir un État kurde indépendant qui puisse continuer sa lutte armée contre elle.

Bien que les forces kurdes aient annoncé leur volonté d’intégrer l’armée syrienne, Sharaa n’est pas d’accord avec la méthode qu’ils souhaitent et par conséquent la Turquie ne retirera pas ses forces à moins qu’une solution ne soit trouvée pour les forces kurdes d’où la grande importance de la réconciliation entre la Turquie et le PKK.

Le retrait annoncé des Américains

Si cette réconciliation réussit, il restera à voir comment elle affectera, si elle est mise en œuvre, les combats entre la Turquie et les forces kurdes en Syrie (FDS) d’autant plus que le chef de ces forces Mazloum Abdi a déclaré qu’il n’y avait aucun lien entre la déclaration d’Öcalan et la décision du PKK  et le comportement de ses forces et que la décision de ce parti ne le liait pas.

Or, les FDS dépendent militairement et financièrement du soutien américain et de la présence de 2 000 soldats et formateurs américains dans le nord du pays. Il n’est pas improbable que le président américain Donald Trump, qui a déjà cherché en 2019 à retirer les forces de son pays de Syrie, soit convaincu que son ami Erdogan est capable de remplacer les Kurdes dans la guerre contre l’Etat islamique (EI) et ainsi de mettre fin à l’intervention de son pays dans ce pays.

Par conséquent, les Kurdes se retrouveront dans une confrontation militaire avec la Turquie et la Syrie sans le soutien américain tandis que la Turquie est engagée dans un processus de réconciliation avec le PKK qui pourrait in fine se désarmer.

Selon le scénario promu par la Turquie, les Kurdes syriens n’auront aucune marge de manœuvre militaire ou diplomatique et seront obligés d’accepter les diktats de la charia qui sont en fait ceux d’Erdogan et d’accepter la domination syrienne sur toutes les régions kurdes ce qui permettra à la Turquie de se retirer de Syrie.

Sur cette base, estime Zvi Bar’el, Israël se retrouvera confronté à une nouvelle situation dans laquelle il sera la seule puissance occupante étrangère en Syrie et devra faire face aux pressions turques et syriennes mais aussi à celles de l’administration américaine qui pourrait facilement faire à Erdogan le cadeau d’être le «gestionnaire» de la Syrie au nom des États-Unis.

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