Chaque année, l’attribution du Ballon d’Or récompense le meilleur joueur de football de l’année. Elle équivaut à la remise des Césars pour le cinéma ou des Grammy Awards pour la musique, transposée dans le sport professionnel d’élite. Avec son vainqueur suprême, ses seconds rôles, ses prix, ses discours… Avec, et c’est dommage, une tendance qui s’affirme de plus en plus vers la superficialité. Le vedettariat façon «presse people» prime désormais sur l’aspect purement sportif. Ce qui fait douter du verdict général.
Jean-Guillaume Lozato *

L’édition du Ballon d’Or 2025 a été à la hauteur des attentes en ce qui concerne la mise en scène. Par le choix légitime de Paris puisque ce sont nos confrères de France Football qui l’organisent depuis 1956. Par le cadre somptueux et solennel du Théâtre du Châtelet. Par la sélection des invités. Parmi ceux-ci, l’ancien Ballon d’Or néerlandais Ruud Gullit en maître de cérémonie, et Ronaldinho (ancien international brésilien, Ballon d’Or 2005) désormais porteur de lunettes le faisant paraître faussement ou à juste titre plus sage qu’à l’accoutumée.
C’est finalement Ousmane Dembélé, de l’équipe nationale de France, qui a été choisi comme lauréat.
Appartenir à un grand club comme le PSG est une rampe de lancement incontestable. Contribuer à son rayonnement est un grand plus. «Dembouze» a rempli ces deux conditions.
Le mérite du gagnant du jour
Le lauréat de cette année 2025 n’a escroqué personne. Candidat faisant figure de profil complet, il a aligné les performances. Son terrain d’expression, c’est la pelouse du stade. Oui, il respire le talent et l’équilibre. Le talent parce qu’il sait accomplir des choses exceptionnelles, en alliant grande aisance technique et efficacité. L’équilibre par ses caractéristiques physiques et communicationnelles. Il est endurant, n’est ni grand ni petit (1,78 mètre). C’est d’une modestie non feinte qu’il s’est exprimé au micro habillé selon un code vestimentaire à son image : la sobriété d’un smoking confectionné par la grande marque italienne Ermenegildo Zegna. Une classe mise au service de son club comme de sa sélection nationale.
Au fur et à mesure des épisodes marquants de la saison (un titre de champion de France, une Ligue des Champions et une place de finaliste au Mondial des Club), les composantes pour brosser un portrait favorable se sont alignées. L’international français a produit du spectacle, tout en ne fuyant pas les tâches plus défensives. C’est pourquoi il a brillé et fait briller ses partenaires. Contre n’importe quelle équipe de prestige, il sait faire valoir ses qualités de buteur (un triplé entré dans la légende contre Stuttgart en Champions League), d’organisateur-passeur (ses deux passes décisives très différentes contre l’Inter de Milan). Ses capacités d’enchaînement ont été visibles en demi-finale européenne contre Arsenal. Chez les «Gunners», suite à une transmission anodine, Ousmane parti à peu près du rond central déporte le ballon en un éclair de simplicité à Khvisha Kvaratskhelia sur le flanc gauche de l’attaque, lequel lui rend la politesse en lui adressant un long centre en retrait. Que le Franco-Sénégalo-Malien convertit en but en faisant admirer ses dons de frappeur de loin.
Autre fait de jeu de la saison 2024-2025, parmi beaucoup, à signaler, c’est le but inscrit contre la Belgique avec la France où il a pénétré la surface de réparation belge consécutivement à des dribbles pour envoyer la balle à mi-hauteur dans la cage adverse.
Les deux dernières actions citées montre qu’il sait faire usage de son pied gauche dans n’importe quelle position, partant de n’importe quel angle du terrain.
Des faits marquants parmi tant d’autres qui aident à comprendre le registre d’intervention varié du Français.
Sur le front exclusivement offensif comme dans l’entrejeu, sa facilité à casser les lignes adverses et son instinct pour le pressing lui ont fait alterner l’exercice conféré à numéro 7, 11, 10 et parfois 9.
Coéquipier idéal sur et en dehors du terrain, le Ballon d’Or de cette année sait trouver une solution à chaque situation. Parce qu’il sait miser sur le placement ou la rapidité selon les cas de figure, se montrer joueur ou alors adepte de la temporisation. Il possède une qualité devenue rare : un excellent jeu dos au but. Il détient, outre ses qualités intrinsèques, des caractéristiques rappelant Paul Pogba dans le repli ou la relance par écartement du jeu, Antoine Griezmann dans l’ambiguïté du «neuf et demi», Kylian Mbappé dans les débordements. Et sait faire participer ses coéquipiers, comme l’a montré contre le Bayern Munich l’entente avec Achraf Hakimi qui lui a délivré une passe décisive en or sur un plateau d’argent.
Depuis lundi, c’est l’or qui brille de mille feux. Mais qui ne doit pas laisser le défenseur dans l’ombre pour autant.

La place de Hakimi : l’autre sujet de la soirée
L’autre sensation de la soirée, c’est l’évocation d’un autre pensionnaire du PSG, Achraf Hakimi et l’attente qu’avait suscité sa nomination auprès des supporters parisiens, mais encore plus dans la communauté marocaine nationale ou expatriée. Pressenti comme lauréat ou au minimum dauphin, les suffrages ne lui ont finalement accordé qu’une «pauvre» sixième position. Place qui interroge. Qui interpelle. Qui fait douter. Qui dérange. Mais qui doit avant tout donner à réfléchir.
Avant la révélation de la décision finale, avait été projetée la présentation générale du Top 10 des joueurs estimés les plus incisifs de l’année. Avec les noms de Raphinha, Liamine Yamal, Vitinha, Mohamed Salah, Cole Palmer, Kylian Mbappé, Nuno Mendes, Gianluigi Donnarumma. Et Achraf Hakimi. Une liste restreinte complexe à établir en raison. À titre d’exemple, constatons que l’international suédois d’Arsenal Viktor Gokyeres, victorieux ce soir-là du prix Gerd Müller, figure à la quinzième place et ne l’a donc pas incorporée. La révélation parisienne Désiré Doué ne figurant «qu’à» la quatorzième. Quant à Herving Haaland, avant-centre si terrifiant pour les défenses lui étant opposées aussi bien avec Manchester City qu’avec la Norvège, il est vingt-sixième. Faire partie des dix premiers consiste déjà en un exploit. Justice est faite pour l’Italien G. Donnarumma, seul gardien présent, qui s’est vu récompensé par le Prix Yachine.
Tout le monde s’attendait à un duel Dembélé versus Hakimi, L. Yamal semblant condamné à la troisième place.
Alors, comment expliquer la version finale ?
Le tout premier argument concerne la nature du poste occupé par le numéro 2 du PSG. Le secteur défensif, traditionnellement, fait moins rêver que la création, l’organisation ou l’offensive.
Intervient alors la fonction. Arrière droit renvoie souvent à une forme de normalité. Voire de banalité. Pour ne rien arranger, ce sont davantage les arrières gauches qui ont fait figure d’exception pour la course au Ballon d’Or (dans le passé, l’Allemand Andrea Brehme et le Brésilien Roberto Carlos avaient terminé respectivement troisième et deuxième). Quant au grand Paolo Maldini (Italie, Milan A.C, élu deuxième meilleur footballeur de la Fifa en 1995) n’est jamais allé plus loin que la troisième place. Or, Maldini était ambidextre et bon dribbleur. Se souvenir qu’un joueur d’une aura aussi immense pouvait jouer à droite comme à gauche et utiliser ses deux pieds aurait dû ouvrir la voie à une plus large démocratisation dans le débat de pré-élection. Être placé, dans sa moitié de terrain, sur un côté isolé selon tel ou tel schéma tactique réservé à un droitier au profil défensif dans la plupart des cas, a desservi Hakimi. Surtout avec la mythification constante des gauchers.
Un autre aspect pèse son influence : les joueurs à vocation défensive qui ont été primés par le passé étaient des arrières centraux (l’Allemand Franz Beckenbauer, libéro; l’Italien Fabio Cannavaro pouvait jouer aussi bien stoppeur que libéro) ou des demi-défensifs. Matthias Sammer, avec l’Allemagne, en a été la parfaite synthèse puisqu’il officiait en tant que milieu défensif et libéro.
Justement, Hakimi détenait les moyens de casser les codes gentiment.
Le fait d’avoir eu quelques déboires conjugaux et judiciaires aurait-il joué ? Espérons que non. Les frasques accomplies par des footballeurs en proie à l’immaturité sont croissantes. Si jamais la star marocaine avait fauté, ce qui reste à déterminer, ce ne serait pas le seul cas dans le milieu. Puis de telles choses ne devraient pas interférer dans un jugement comptabilisant les résultats sportifs.
Par ailleurs, une autre question taraude les supporters : jouer pour l’équipe du Maroc aurait-il influé négativement ? Une ségrégation continentale à double tranchant est envisageable. D’un point de vue géospatial et pas forcément ethnique, militer sportivement pour un pays du Maghreb peut dérouter certains observateurs. Sur un plan purement sportif, le Maroc a fait des jaloux depuis son épopée qatarie en 2022.
Pour contrecarrer cet argumentaire handicapant, nous pouvons rétorquer que l’international marocain remplit son rôle selon plusieurs degrés d’intervention. Que ce soit la couverture, organisation, parfois le marquage actif, la relance intelligente, l’interception, la conservation, la participation à la construction ainsi qu’aux phases offensives, l’impact par le leadership du capitanat. Au gré des rencontres et certaines fois tout ça dans un même match. Il ne se contente pas d’être un simple défenseur.
Devant un parterre semé d’embûches et de rivalités médiatiques, subsiste donc l’impression que le Marocain est en train de passer du statut de latéral à celui de victime collatérale.
Au nom de la mère
Ce qui a fait suite à la révélation de l’identité du Ballon d’Or a terni une ambiance festive, déjà compromise par le départ accéléré de Liamine Yamal et de son père au terme du cérémonial.
Prétendre élaborer un réquisitoire contre Dembélé n’est certainement pas le projet de la présente réflexion. S’appuyer sur l’objectivité est la priorité. Tant bien que mal, du fait qu’il soit très complexe de rester sur une ligne objective en matière de ballon rond.
Dembélé mérite cette haute distinction individuelle. Mais Hakimi méritait de se trouver au moins dans le trio de tête. De plus, une deuxième place aurait parfaitement été synchronisée avec son numéro 2 floqué sur ses maillots. Tous deux sont membres de la même équipe en club. Tous deux représentent une mondialisation positive sur le plan personnel avant celui professionnel. Car Dembélé est né en France, au sein d’une famille aux racines subsahariennes, pendant que Hakimi est natif d’Espagne de parents venus du Maroc. Tous deux sont très médiatisés. Alors que le membre des «Bleus» commandés par Didier Deschamps est un peu plus versé dans la discrétion, le représentant des «Lions de l’Atlas» est davantage starisé à la façon «presse people».
Pour verser dans une démarche antithétique, on peut trouver que les deux héros de la saison écoulée présentent malgré tout des similitudes présentes ou à venir. Outre le fait d’être affiliés au même club, ils sont Africains et Musulmans. Ce qui peut dissiper les doutes quant à une éventuelle discrimination raciale et religieuse.
Sur le rectangle vert, ils occupent des postes aux responsabilités nettement différents. Mais chacun apporte à sa manière une pierre imposante au travail de l’attaque.
Les chiffres les rapprochent aussi. Les statistiques de Dembélé (meilleur buteur de Ligue 1 avec 21 réalisations) et de Hakimi (11 buts et 5 passes décisives pour 59 sur l’ensemble des matchs joués avec le PSG) sont admirables.
Sur un plan plus personnel, Dembélé est plus introverti que son comparse mais son épouse est une influenceuse très connue, traitant de sujets superficiels comme le luxe et les déplacements en jet privé. Ce qui peut représenter un point fort ou un point faible à un moment donné par rapport à l’exposition médiatique. Pour résister à des pressions de ce type, l’attaquant semble moins aguerri que son coéquipier défenseur. Ce dernier, lui, avait payé l’addition d’une excessive visibilité extra-sportive.
L’autre point en commun, c’est l’attachement à la mère. On savait déjà Hakimi très attaché à sa mère. Le public a découvert un Dembélé redevenu Ousmane devant sa mère, invitée à venir sur la scène, alors que son épouse était absente. Conserver un point d’attache comme les racines familiales, et plus encore la figure maternelle, apparaît comme essentiel dans la carrière des deux jeunes hommes. La figure d’apaisement qui manquait pour faire taire la polémique au sein des décisionnaires du football, c’est peut-être l’image de la maman. Une forme de simplicité conciliante, fédératrice avant de se poser en modératrice. Malgré la déception, le Marocain a d’ailleurs adressé une petite pointe d’humour pour féliciter par la suite son camarade en lui lançant l’injonction d’assumer son titre et donc de venir systématiquement en costume ! Hakimi a compris qu’il ne devait pas en vouloir à son collègue, mais aux instances du journalisme sportif lié au foot professionnel qui l’ont sous-noté. Un état d’esprit qu’il faudra conserver au nom de l’éthique sportive. Une dimension à ne pas négliger, comme l’a souligné la présence de l’ancien Champion du monde Rai créateur de l’association Gol de Letra et l’évocation du prix Socrates destiné à récompenser les vertus morales.
Il y a fort à prier qu’une émulation est en train de se mettre en place entre le numéro 1 au classement et le numéro 6. L’un et l’autre sont encore relativement jeunes et pourraient tout à fait se recroiser en Coupe du Monde. Que ce soit en 2026 ou en 2030. Un plan quinquennal se dessine pour l’équipe nationale marocaine. Plus précisément que pour la sélection française, au sujet de laquelle le lauréat du soir a déclaré vouloir tout faire pour permettre à Didier Deschamps de partir par la grande porte. Une brèche qui représente une possibilité de revanche pour le défenseur latéral vedette du Maroc et du PSG.
Paris, la ville lumière, a donc concurrencé New-York la ville qui ne dort jamais pour ce qui est des festivités nocturnes avec un happy end. Où deux leaders ont été mis en lumière pour des raisons différentes. Deux joueurs dont l’alchimie en club transforme en or les échéances du PSG. Un étalage de luxe au propre comme au figuré. Un travail d’orfèvre qu’entraîneurs et hauts dirigeants du football devront considérer avec l’expertise de bijoutiers avertis et non en tant d’antiquaires arrivistes et spéculateurs.
Le Ballon d’Or a en parallèle posé un regard sur un autre tableau que celui des personnalités. En effet, l’image d’un club a plané tout au long de la soirée. Celle du Paris Saint-Germain. Son président Nasser Al-Khelaïfi dispose d’un portefeuille relationnel impressionnant. Qu’il sait mettre à profit mieux que personne sur ce plan. Alors France + PSG + Maroc + Qatar = juxtaposition judicieuse ou télescopage malheureux ?
À moins que le Brésil ne mette tout le monde d’accord en gagnant la prochaine Coupe du Monde. Le PSG, qui avait perdu contre Botafogo au Mondial des Clubs, n’aurait pas à en être surpris. Qu’il s’informe auprès de Marquinhos…
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