Tunisie | Les habitants de Gabès veulent seulement respirer

Les marches de protestation qui se succèdent depuis quelques jours à Chatt Essalam, à Gabès, contre la pollution de l’air et de l’eau provoquée par les rejets toxiques de l’usine du Groupe chimique tunisien (GCT), et qui drainent des citoyens de toutes conditions, notamment des femmes et des enfants, doit tous nous interpeller : décideurs politiques, acteurs de la société civiles et citoyens.

Latif Belhedi

On ne peut reprocher aux habitants de la région, quelque 400 000 âmes, qui souffrent de cette pollution s’aggravant d’année en année, sans qu’aucune mesure concrète n’est prise par les autorités pour en atténuer l’impact sur l’environnement et la santé, de protester devant l’usine du GCT, désormais gardée comme une caserne, et de crier leur ras-le-bol.

On sait que la transformation du phosphate en engrais émet des gaz toxiques tels que le dioxyde de soufre et l’ammoniac.

Le principal déchet solide produit est le phosphogypse, que l’usine rejette dans la mer. Elle contient du radium qui se désintègre en radon, un gaz radioactif cancérigène.

Cela fait au moins une décennie – depuis que les Tunisiens se sont débarrassés de la peur et ont repris leur liberté de parole – que les acteurs de la société civile alertent les autorités régionales et nationales, organisent des meetings, frappent aux portes des responsables, à Gabès et à Tunis, pour attirer leur attention sur une situation qui ne saurait plus durer sans mettre gravement en danger la vie de dizaines de milliers de citoyens complètement désarmés face à l’ogre de la pollution. Mais, au-delà des paroles, des promesses et des inchallahs, rien ne se fait concrètement sur le terrain, et l’usine du GCT, dont les équipements sont obsolètes, continue de rejeter ses poisons dans la nature, empestant l’air, la mer, la terre et l’unique oasis maritime au monde, qui aurait pu attirer beaucoup de visiteurs à Gabès, mais qui se meurt jour après jour, dans l’indifférence générale.

Le silence des autorités est inacceptable

Lorsque des élèves sont asphyxiés, transportés à l’hôpital dans un état critique et que leurs parents s’alarment et descendent protester dans la rue, on ne peut plus fermer les yeux ou tenir des propos soporifiques qui n’endorment plus personne. Il faut agir. Parler, oui, expliquer, oui, essayer de calmer les esprits, oui. Mais agir, surtout, montrer que l’on est réactif, qu’on est conscient de la gravité de la situation et qu’on fait quelque chose pour essayer d’atténuer les impacts de la pollution chimique sur la santé et l’environnement. Aussi, le silence dans lequel semblent se réfugier les responsables régionaux et nationaux est-il inacceptable.

On comprend la gêne des responsables : le GCT est un fleuron de l’industrie nationale, sa production est exportée et elle rapporte des sommes conséquences aux caisses de l’Etat. L’arrêt de ses usines est impensable. D’autant que la Tunisie, qui était autrefois le cinquième producteur mondial d’engrais à partir du phosphate, a chuté à la dixième place au cours des quinze dernières années. Sauf que, ne rien faire, alors que des enfants voient leur santé mise en danger par les rejets toxiques de ces mêmes usines, est tout aussi impensable.

Pollution chimique à la plage Chatt Essalam, Gabès.

On sait aussi que les finances publiques sont exsangues et que des solutions au problème de la pollution industrielle à Gabès, et ailleurs, à Sfax ou dans le bassin minier de Gafsa, sont très couteuses et ne sauraient être mises en œuvre demain la veille.

On a perdu beaucoup de temps. On a longtemps reporté la solution des problèmes quand ils ont commencé à se poser, et voilà que nous nous trouvons aujourd’hui complètement démunis et impuissants et que, nous nous réfugions «très courageusement» dans le silence, en renvoyant la patate chaude aux forces de sécurité désormais appelées à remettre de l’ordre à Gabès. Mais que peuvent-elles faire ? Tout au plus calmer momentanément les esprits échauffés, mais tant que le problème n’a pas commencé à être réellement résolu, il y aura de la tension à Gabès, mais aussi, ailleurs, dans les autres hotspots, qui ne manquent pas dans notre.

«Respirer et vivre avec moins de tumeurs»

Evoquant ce qu’il a appelé le «harak de Gabès», un Gabésien a écrit que les habitants de la ville et de la région «veulent seulement respirer et vivre avec moins de tumeurs», par illusion à la prolifération des atteintes de cancer parmi eux. Dénonçant la duplicité des autorités dont «les actes et les paroles sont complètement déconnectés», il a ajouté : «L’Etat est visiblement incapable de mener une politique industrielle qui ne tue pas l’être humain ou de traiter les problèmes sanitaires qui en découlent et qui provoquent une mort lente et certaine». Et d’avertir que la région est en train de se transformer en «un champ de mines risquant d’exploser à tout moment».

Gabès panse ses blessures, s’interroge, crie, interpelle, et attend des réponses de la part des responsables politiques qui devraient commencer par aller à la rencontre des populations, pour les écouter, recueillir leurs doléances et apporter des débuts de réponses à leurs questions. Mais où sont passés ces responsables ? Pourquoi ne les entendons-nous pas ? N’ont-ils pas de solutions à nos problèmes ?    

  

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