À El-Kamour, des voyous défient l’Etat. Ils arrêtent la production de pétrole, et toutes les activités qui y sont liées. Des hors-la-loi y font la loi. En apparence, ils veulent devenir maîtres sur ce champ pétrolier pour infléchir l’Etat à leur volonté. En underground, ils aspirent à faire du gouvernorat de Tataouine une principauté ouverte aux contrebandiers ainsi qu’aux miliciens de l’Etat islamique (Daech), déployés dans la Libye voisine.
Par Mounir Chebil *
Ces voyous ne pouvaient être si arrogants s’ils n’étaient pas, dès le départ, soutenus par plus voyous qu’eux. En effet, depuis le gouvernement de Habib Essid, 2015 et 2016, Ennahdha, le CPR, le Front populaire, des parlementaires populistes et des personnalités politiques mues par un sentiment régionaliste primaire, ainsi que des zazous des droits de l’Homme et des mignons démocrates, les avaient instrumentalisés comme ils l’ont fait avec d’autres mouvements «contestataires», dans le but de destituer le gouvernement Essid honni dès son investiture, démystifier l’Etat et semer le chaos en faveur duquel ils comptaient faire main basse sur le pouvoir. C’était la campagne «Winou el-bitroul» (Où est le pétrole). Ils avaient dopé ces voyous par un discours populiste sur un fond de régionalisme criminel. Ces voyous s’étaient sentis plus forts après les accords alchimiques de 2017 que l’ancien chef de gouvernement Youssef Chahed avait fait signer avec eux par des représentants de l’Etat.
Des mouvements contestataires financés par les contrebandiers
Depuis le début, les mouvements contestataires à Tataouine, en plus des soutiens politiques de l’intérieur et de l’extérieur, étaient financés par les contrebandiers de la région qui soudoyaient les meneurs. Ils leur fournissaient en plus toute la logistique nécessaire à leurs campements installés à perpétuelle demeure aux abords du champ pétrolier d’El-Kamour. Des «chômeurs» ne pouvaient se permettre un sit-in cinq étoiles, des D-Max 4 X 4 flambant neufs et du mazout à volonté…
Rien ne plaide en faveur de ces voyous. Pourtant beaucoup les défendent comme étant des protestataires pacifistes, porteurs de revendications légitimes. Est-ce que le sabotage des richesses nationales, la prise en otage de tout un peuple, et les véhémences séparatistes seraient légitimes ? Faut-il légitimer ces maux que nous supportons depuis la révolution de janvier 2011 et qui ont ébranlé les structures de l’Etat ?
Je ne mets nullement en doute la volonté et l’efficacité des forces sécuritaires et armées pour sécuriser la zone. Elles ont démontré avec panache leur capacité à faire face au terrorisme et au crime organisé. Elles l’ont payé du sang de leurs agents. Je suis convaincu qu’elles supportent mal d’avoir les mains liées et de voir l’autorité de l’Etat foulée dans la poussière. Seulement, les acteurs politiques au pouvoir ou qui dominent le paysage politique depuis le cataclysme de janvier 2011, refusent de les laisser jouer pleinement leur rôle. Ces acteurs ont, depuis janvier 2011, œuvré pour l’effondrement de l’Etat et le règne du chaos, d’autant plus qu’ils n’étaient pas porteurs d’un nouveau projet sociétal, sauf le cas des islamistes qui militent pour l’islamisation du pays indépendamment de la question nationale et des exigences de développement.
En effet, les pseudo-révolutionnaires s’étaient engagés d’une manière consciente ou inconsciente dans la stratégie américano-européenne visant à faire régner l’apocalypse dans les pays arabes dans le but de redessiner la carte de la région, suivant la thèse du «chaos créatif» développée par les néoconservateurs américains qui nous ont accablés par ce «printemps arabe» aux couleurs automnales.
Partant de cette tragi-comédie, même si l’Etat donnait un salaire à tous les chômeurs de la région et consacrait tout son budget pour son développement, les meneurs du sit-in El-Kamour trouveraient des prétextes pour perpétuer leurs contestations. Car, les commanditaires cherchent à étendre leur contrôle sur toute la région de Tataouine. Les barons de la contrebande de la région veulent gambader librement. Les esclaves qui travaillent pour eux préfèrent l’agent facile de transporteurs des marchandises de la contrebande et du marché noir. Les Daéchiens infiltrés dans la rébellion sont aux aguets pour instaurer leur émirat. Les eunuques, islamistes et autres, de Sinan Pacha veulent lui livrer le sud tunisien, pour, entre autres, l’utiliser comme base arrière en soutien à sa guerre en Libye. Ils lui ouvriraient les champs pétroliers contre des subsides. La filiale tunisienne de la secte des Frères musulmans demeure la composante essentielle de cette manœuvre. Elle a été mandatée pour veiller au «chaos créatif».
Leur mouvement El-Kamour n’est pas revendicatif mais insurrectionnel
Le chef de gouvernement Hichem Mechichi n’a pas compris que les voyous ne fléchissent que devant plus forts qu’eux. Pour eux, le dialogue est une faiblesse à exploiter pour plus de surenchères. Leur mouvement n’est pas revendicatif mais insurrectionnel.
Les champs de pétrole de Tataouine se situent sur le territoire tunisien qui appartient à tous les Tunisiens. Ils ont été, au début, financés en totalité ou en partie, par l’Etat, que ce soit pour sa prospection que pour son extraction. L’investissement initial vient en totalité ou en partie de l’argent de tous les contribuables et de l’épargne nationale. Donc, tous les Tunisiens ont droit à leur part de cette richesse nationale.
L’eau potable de Tataouine est acheminée de régions dont certaines des populations n’en disposent pas, même à proximité du lieu où ils habitent. L’électricité est également acheminée de régions qui en manquent. Des centaines de milliers d’ouvrières agricoles dont les enfants souffrent de malnutrition produisent la nourriture pour la population de Tataouine qui ne produit presque rien…
Tataouine est dépendante, en tout, des autres régions de la Tunisie, même du pain quotidien. Pourtant, elle a profité du chaos né de la révolution de 2011 par la prolifération de la contrebande même celle des armes. Alors, et si les populations dont dépend la vie des gens de Tataouine, tout en étant demeurées plus pauvres qu’eux, décidaient de faire un embargo pour étouffer cette région, et que l’Etat fermait les champs pétroliers de Tataouine tout en imposant un blocus sur toute la région, les voyous d’El-Kamour se trouveraient isolés et rejetés par la population de Tataouine même.
Ici, ce serait un non-sens que je m’adresse à Kaïs Saïed, qui a lancé le slogan populiste du «pouvoir au peuple», pour lui demander de mâter les Daéchiens d’El-Kamour. Donc, je dis à Hichem Méchichi, avant d’aller à Tataouine, de dénoncer, sans détours, le crime des voyous d’El-Kamour vis-à-vis des Tunisiens. Ces derniers doivent prendre conscience que ces voyous ont l’intention de les condamner à la misère en spoliant leurs richesses et en vendant une partie du pays au plus offrant. Il faut une mobilisation nationale contre ces énergumènes. Le peuple et les forces vives seront derrière le chef du gouvernement et cautionneront toutes les décisions qu’il prendrait à leur encontre.
* Analyste politique.
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