Si le Sommet de Tokyo sur le développement en Afrique (Ticad 8) a été au mieux une déconvenue pour la Tunisie, il faudra bien s’organiser (diplomatiquement beaucoup plus que logistiquement) pour éviter que le Sommet de la Francophonie de Djerba ne tourne au réquisitoire politique du cours pris par la transition démocratique et à la débâcle diplomatique pour notre pays. (Illustration : le président Kaïs Saïed reçoit Louise Mushikiwabo, SG de l’OIF, le 8 octobre 2021).
Par Elyes Kasri *
Un bon politicien et de surcroît un diplomate chevronné agit comme un navigateur qui, avant de se diriger vers le large, prend la précaution de scruter l’horizon pour apprécier la vitesse des vents et des courants et d’étudier les cartes marines pour éviter les écueils.
L’obstination à abriter le XVIIIe Sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) à Djerba du 19 au 20 novembre 2022 après deux reports (Tunis: 12-13 décembre 2020 et Djerba: 20-21 novembre 2021) pourrait être assimilée à l’insistance à naviguer en mer démontée avec de nombreux écueils à l’horizon.
Surtout que ce sommet célébrera le XXe anniversaire de la Déclaration de Bamako sur les pratiques de la démocratie, des droits et des libertés qui a été adoptée le 3 novembre 2000 lors du «Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone».
La Tunisie respecte-t-elle la déclaration de Bamako ?
La déclaration de Bamako a doté la Francophonie d’un texte normatif sur la démocratie en vertu duquel les membres de l’OIF prennent des engagements notamment les suivants:
– L’État de droit implique la soumission de l’ensemble des institutions à la loi, la séparation des pouvoirs, le libre exercice des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que l’égalité devant la loi des citoyens, femmes et hommes, représentent autant d’éléments constitutifs du régime démocratique.
– Assurer l’indépendance de la magistrature, la liberté du barreau et la promotion d’une justice efficace et accessible, garante de l’État de droit.
– La démocratie est incompatible avec toute modification substantielle du régime électoral introduite de façon arbitraire ou subreptice, un délai raisonnable devant toujours séparer l’adoption de la modification de son entrée en vigueur.
– Impliquer l’ensemble des partis politiques légalement constitués, tant de la majorité que de l’opposition, à toutes les étapes du processus électoral, dans le respect des principes démocratiques consacrés par les textes fondamentaux et les institutions, et leur permettre de bénéficier de financements du budget de l’État.
– Faire en sorte que les textes fondamentaux régissant la vie démocratique résultent d’un large consensus national, tout en étant conformes aux normes internationales, et soient l’objet d’une adaptation et d’une évaluation régulières.
La transition démocratique en Tunisie en question
Il y a fort à craindre que le bilan du respect par les membres de l’OIF (88 États et gouvernements : 54 membres, 7 membres associés et 27 observateurs) des stipulations de la déclaration de Bamako ne tourne au procès du cours pris par la transition démocratique en Tunisie et du calendrier politique mis en place par le président Kais Saied.
Gare à l’activisme des délégations canadienne, belge et suisse, connues pour leur zèle démocratique ! Il faudra également accorder une attention particulière aux anciens amis africains et alliés du Maroc qui ont été frustrés par l’accueil controversé du chef de la RASD lors de la récente Ticad 8 en Tunisie.
Si la Ticad 8 a été au mieux une déconvenue, il faudra bien s’organiser (diplomatiquement beaucoup plus que logistiquement) pour éviter que le Sommet de la francophonie de Djerba ne tourne au réquisitoire politique et à la débâcle diplomatique pour la Tunisie.
* Ancien ambassadeur au Japon et en Allemagne.
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