Le poème du dimanche : ‘‘Au milieu de la vie’’ de Magda Carneci

Née en 1955 en Roumanie, Magda Carneci est poète, critique d’art et traductrice. Elle a publié de nombreux livres de poésie et d’histoire de l’art, dont certains sont traduits dans diverses langues. (Ph. Mihaela Delamare / Dan Vatamaniuc).

Ancienne directrice de l’Institut culturel roumain à Paris (2006-2010), elle est très présente dans le paysage littéraire francophone. Son œuvre est couronnée de distinctions et de prix littéraires. Elle vit entre Bucarest et Paris.

Ouvrages (traduits en français): Psaume (1997), Trois saisons poétiques (2008), Chaosmos (2013), FEM (2018).

Tahar Bekri

Parfois, il nous est asséné des coups inattendus, furieux,

pendant cette course d’obstacles étrange, sans issue.

Le chronomètre dans notre poche se bloque brusquement

et nous regardons autrement, tout autrement,

la chaise, le verre et la table. Nous demeurons

sans un mot, comme liquéfiés.

Les objets lentement s’entourent d’une clarté phosphorescente,

une sorte de grand rideau est tiré de côté

devant l’on ne sait quel brouillard ancien,

on dirait de ténèbre vibrante.

Le temps s’arrête, s’arrête,

rien plus ne coule.

Nous ne bougeons pas ; nous attendons,

enfermés de façon hermétique dans un présent intense et vivant.

Il y a quelque chose qui circule alentour,

il y a une tension silencieuse, une peur,

comme si une apocalypse, petite et dérisoire,

– cette vie qui est la nôtre -,

pouvait tomber là, devant nos yeux,

tel un torrent fracassant, une cascade justicière.

Le film se déchire alors dans l’énorme appareil de projection

et nous nous réveillons au beau milieu d’une séquence

dans le grand fleuve d’images qu’est le monde.

La flamme de l’illusion s’éteint, puis elle s’égare.

Tout se tait : à l’intérieur – le vide, un silence cosmique.

L’esprit s’entrouvre l’espace d’un éclair, d’un instant puissant,

vers des mystères oubliés, que nul jamais ne soupçonne.

En nous geint quelque chose de lourd, c’est une plainte

qui tombe dans une sorte d’abîme.

Puis autre chose doucement s’élève vers un tourbillon de lumière,

et l’on aperçoit une pureté étonnante, indestructible.

Dans la nouvelle limpidité de la vision intérieure,

nous voyons vaguement – s’agit-il d’un autre film, plus subtil ? –

des dieux adultes, attablés, là-haut,

qui nous font discrètement des signes de la main.

Ils nous sourient.

Ils nous attendent.

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