Située au cœur d’un Maghreb qui n’a jamais été aussi divisé et aux prises avec de fortes tensions géostratégiques, la Tunisie n’arrive ni à se situer, ni à se doter d’une stratégie diplomatique pour sortir de la crise et se relancer dans un monde en pleine reconfiguration. Alors qu’en interne, le feu dort sous la cendre… (Illustration : la diplomatie tunisienne se résume presque à des liens privilégiées entre Kaïs Saïed et Abdelmadjid Tebboune).
Par Elyes Kasri *
La région maghrébine est en train de subir des changements tectoniques avec le rapprochement maroco-israélo-américain et la prochaine installation d’une base militaro-industrielle américaine au Maroc à vocation régionale pour contrer l’incursion russe en Afrique.
De son côté, à la faveur des réalignements internationaux conséquemment au conflit Russie-Otan en Ukraine, l’Algérie renforce ses relations avec la Russie et prépare son adhésion au Brics (Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud). Tout en profitant de ses ressources énergétiques pour maintenir des liens privilégiés avec l’Italie, la France et l’Espagne.
Pour sa part, le gouvernement Dbeibah de Tripoli s’efforce de se maintenir au pouvoir grâce aux milices islamistes et vient de recevoir les directeurs des renseignements des Etats-Unis d’Amérique et de la Turquie, anciens instigateurs du printemps arabe.
La Tunisie n’arrive pas à se situer
Entretemps, la Tunisie semble absente sur la scène internationale, à part la visite en Norvège d’une délégation tunisienne et celle de la Première ministre au Forum de Davos qui projettent l’image d’un pays qui n’arrive pas à se situer et à faire les choix stratégiques en interne et à l’international qu’exigent sa situation critique et la conjoncture internationale volatile. Pour sa part, la diplomatie tunisienne fait preuve d’une discrétion telle qu’elle mériterait de faire l’objet d’un avis de disparition et de recherche.
La visite d’une délégation italienne précédant celle que ferait incessamment la nouvelle présidente du gouvernement italien Giorgia Meloni est une illustration de l’exaspération européenne envers une Tunisie qui se rapproche dangereusement de la situation d’Etat failli avec tous les risques d’exacerbation du flux migratoire illégal en direction de l’Europe avec l’Italie comme principal point d’entrée.
Entretemps, le débat politique tunisien est focalisé sur une loi de finance alourdissant le fardeau fiscal d’une économie anémique et dépourvue de tout mécanisme de relance, des élections législatives destinées à maintenir leur record mondial de désintérêt et d’abstention populaires et une opposition qui tourne en rond et persiste à refaire les mêmes erreurs en privilégiant les personnes aux projets. Si projets il y a, ils consistent à refaire les mêmes erreurs du passé proche ou éloigné et n’arrivent pas à concevoir un nouveau modèle de gouvernance et de création de richesses et d’opportunités pour une Tunisie plus innovante et plus ouverte aussi bien pour ses citoyens qu’aux nouvelles technologies.
Le feu sous la cendre
La Tunisie doit dépasser la fiction de la table rase des illuminés révolutionnaires de tout bord et les palliatifs bureaucratiques des technocrates en mal de vision et d’audace et concevoir un nouveau modèle de développement destiné à faire du pays un centre d’excellence régional et un vivier d’entrepreneurs et d’innovation au lieu d’un peuple d’assistés rêvant d’une manne divine ou de l’escarcelle imaginaire des supposés voleurs.
Entretemps, le peuple tunisien est frappé dans sa subsistance et piqué dans sa fierté en voyant le tapage fait par l’autorité de Tripoli autour d’une centaine de camions de vivres comme si la Tunisie était le Biafra d’antan ou le Yémen d’aujourd’hui.
Pierre Corneille (XVIIe siècle), célèbre pour son genre de tragédie historique avec ses chefs-d’œuvre Horace, Cinna, Polyeucte, Rodogune, Héraclius et Nicomède, disait : «Le feu qui semble éteint, souvent dort sous la cendre».**
* Ancien ambassadeur.
** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
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